Un éternel Treblinka

treblinkaCommentaire écrit en réaction à l’article le devoir d’indifférence, publié sur le blog de Philippe Bilger.

30 avril 2008

Nous nous interrogeons sur les sources de la violence, sur ce qui peut l’alimenter, notamment certains jeux vidéos. A ce sujet, il existe un domaine dont on parle encore peu, bien qu’il suscite de plus en plus l’intérêt du public : celui de la violence que nous faisons subir à l’animal. Dans un livre au titre provocateur « Un éternel Treblinka », un universitaire américain, Patterson, a étudié le lien entre la violence que nous infligeons aux autres espèces et notre rapport général à la violence (je ne l’ai pas encore lu) ; cette thèse a été discutée récemment sur France Culture par des philosophes comme Elisabeth de Fontenay dont l’ouvrage Le silence des bêtes, paru il y a dix ans, est depuis lors une référence, sans parler du livre qu’elle a cosigné avec Alain Finkielkraut. En résumé, la thèse de Patterson est que la cruauté dont nous faisons preuve envers l’animal contribue, sinon détermine, notre violence en général. Un pas décisif a été franchi dans cette voie avec la taylorisation, et plus particulièrement, le fordisme. C’est d’ailleurs en observant un abattoir qu’Henry Ford a eu l’idée de sa célèbre méthode. La décomposition et la spécialisation des tâches en vue d’une efficacité et d’un rendement optimaux nous ont davantage éloignés de la réalité du vivant et de la souffrance des animaux. Le titre, bien sûr peut choquer, mais il prend un autre éclairage quand on sait qu’il est emprunté à Isaac Bashevis Singer. Des Juifs ont été d’ailleurs parmi les premiers à établir un parallèle, avec toutes les précautions qui s’imposent, entre ces deux exterminations de masse. Mme de Fontenay parle à ce sujet d’une véritable « obsession juive » d’après 1945 (Adorno, Horkheimer, Canetti, Gary). La philosophe quant à elle, émet d’importantes réserves sur la comparaison de Patterson, réserves que je partage pour l’essentiel. Comparaison n’est pas raison. Il n’en reste pas moins que, si l’on fait litière des positions et des amalgames les plus extrêmes, ce lien incite à la réflexion. Dès avant guerre, Alfred Döblin, un juif allemand, avait décrit avec beaucoup de force les abattoirs de Berlin.

Vous m’excuserez d’avoir poussé trop loin la digression et d’abuser ainsi de votre hospitalité.

Pour l’émission et les interventions de Florence Burgat, directrice de recherches à l’INRA et de Frédéric Gros, professeur à Paris XII consulter le site de France Culture.

Voir aussi le film bouleversant Notre pain quotidien de l’Autrichien N. Geyrhalter, sorti en mars sur les écrans, qui montre pour la première fois toute l’horreur de nos élevages industriels : La bande d’annonce et un autre extrait encore plus poignant sur youtube.