L’Humanité contre la Biodiversité

Réaction à l’article de Maître Eolas : José Bové ou le libre plus tout à fait malgré lui
Maître,
Vous écrivez, en réponse à un commentaire :
“Sans vouloir vous effrayer outre mesure, l’histoire de l’humanité c’est la lutte contre la biodiversité. Je veux que dans ce champ ne pousse plus que du blé. Tant pis pour les orties et le chiendent. En échange, mes enfants ne mourront pas de faim. J’en ai marre que les loups me bouffent la moitié de mes moutons. Exit le loup. En échange, mes enfants ne mourront pas de faim. La variole, c’est très surfait. Je vais inventer un vaccin qui m’en protègera. Exit le pox virus de la variole. En échange, mes enfants ne mourront pas de la variole. A chaque fois, c’est la biodiversité qui s’en prend dans les dents. L’hygiène relève du génocide de la biodiversité. Faut-il cesser de se laver ?”
Ce passage, comme bien d’autres, montre que vous êtes davantage doué pour le bon mot mâtiné de cynisme que pour la biologie. Le fait d’agiter des épouvantails, comme vous le faites, relève en effet de la caricature (le grand méchant loup, le virus de la variole, etc.). La diversité d’un biotope est souvent un atout pour le vivant, homme compris, plus qu’une menace. Elle présente de nombreux avantages notamment pour la pharmacopée, l’alimentation humaine (les éléments nutritifs des sols, la variété alimentaire) ; sans oublier une meilleure résistance des espèces, qui interagissent dans un milieu donné, à un bouleversement climatique, etc. Nous redécouvrons aujourd’hui que le chiendent que l’on arrache, les vers de terre qu’on extermine, ont des vertus en matière agricole et permettent de remplacer certains intrants chimiques de synthèse souvent dangereux pour la biodiversité dont l’homme, je vous le rappelle, fait partie. La variété des insectes pollinisateurs permet davantage a nos chers enfants de se nourrir (de se gaver dans le cas de l’Occident) que les maigres prélèvements du grand méchant loup ne mettaient jadis en péril leur survie pour reprendre votre exemple. Et la diminution de ces insectes dans le monde entier est en effet très préoccupante. Je pense que vous avez aussi entendu parler de la diminution catastrophique des réserves halieutiques dans toutes les mers du globe. Par ailleurs, ce sont les monocultures (agrocarburants, maïs OGM ou pas), qui menacent aujourd’hui l’alimentation humaine et les réserves d’eau de la planète, et non pas la biodiversité. Enfin, il n’est pas absurde de prendre en compte la souffrance animale – comme c’est mon cas – et de considérer que la crise la vache folle n’est pas seulement un scandale pour la santé humaine. Le vivant ne se résume, ni à moi, ni à vous, ni à même à l’espèce humaine. J’ajoute que la biodiversité a une conséquence sur le bien-être de nos semblables. On pourra vivre sans doute facilement dans un monde d’où le tigre ou le gorille des montagnes auront disparu, plus difficilement en revanche si nous mettons en péril les abeilles. Mais quelle perte pour notre culture, notre poésie, notre intelligence affective. Qu’est-ce que l’Inde sans son emblème, le tigre ? La Nouvelle Zélande sans le kiwi, la Chine sans le panda ?
Vous écrivez encore Maître avec votre verve facétieuse inimitable :
“Vous savez, depuis ma naissance, on m’annonce ma mort imminente et programmée, de préférence par les puissances de l’argent, et ceux qui les dénoncent sont là pour me protéger. Ce qui est visiblement efficace car je suis toujours en vie. Ca doit être grâce à eux. En vrac, j’aurais dû me prendre une bombe atomique sur la figure (lancée par les Russes, mais à cause des américains, bien sûr), mourir de froid dans un hiver nucléaire ou causé par la pollution (à l’époque, elle n’avait pas d’effet de serre), d’un cancer causé par le téflon de mes poêles à frire, par les radiations de ma télé, de mon micro onde, de mon radio réveil, du boeuf aux hormones (américain, bien sûr, j’attends depuis 25 ans l’hécatombe outre atlantique d’une seconde à l’autre), de la vache folle anglaise (ha non, pas un cancer, c’était creutzfeldt jakob). Aujourd’hui, on m’assure que du maïs veut ma mort parce qu’une multinationale alimentaire pense que tuer ses clients est le plus court chemin vers la fortune. Bref, en attendant de mourir, je choisis de rire un bon coup, et José Bové est une inépuisable source d’hilarité”.
Tout cela est très drôle en effet comme le sont les milliers de morts russes sacrifiés pour éteindre le réacteur de Tchernobyl, comme la progression vertigineuse des taux de cancers dans les pays développés ou dans les zones des pays émergents où nous jetons nos poubelles chimiques, drôle comme les personnes dont la vie et la santé ont été ruinées par l’ingestion de PCB (Rhône, Somme), comme les agriculteurs victimes d’avoir utilisé trop de pesticides, drôle comme nos cours d’eau pollués, drôle comme les cancéreux de l’amiante, substance dont nous connaissions depuis des décennies les dangers mortels, drôle comme la mort dans la souffrance de millions d’animaux que nous avons rendus cannibales et entassés de manière abjecte. On entend toujours le ricanement des sots sur les bords de la tombe.
(Maître Eolas) confond en effet la notion de nature hostile à l’homme et celle de biodiversité ; j’ai réagis, non pas pour confirmer cette confusion, mais au contraire pour souligner que la diversité biologique pouvait être aussi une chance, qu’elle ne se limitait pas à une menace. Je ne partage ni cette vision anthropocentriste, ni ce sentiment de toute puissance, ni ce mépris railleur affiché pour ceux qui manifestent plus de circonspection à l’égard de nos méthodes d’exploitation (…) Dans son second commentaire, l’avocat poursuit ses railleries assez sordides et ses amalgames sur le thème du: moi, avocat parisien et mes enfants, n’avons pas été touchés par différentes catastrophes annoncées par de mauvais plaisants écolos (nucléaire, alimentation aux hormones, vaches folles,…), donc elles n’existent pas. Les irradiés des différents essais nucléaires, les “amiantés”, les contaminés du Probo Koala, de Seveso, de Tchernobyl et d’ailleurs ont dû rêver leur souffrance et peut-être même leur mort.
Un autre intervenant “Maître Yogi” écrit :
“Par ailleurs, pourquoi porterais-je toute la misère du monde sur mes épaules, dans un état de componction absolue dans lequel vous semblez vous complaire ? Vous me faites penser à ce qu’on me disait quand j’étais gamin, à savoir de finir le contenu de mon assiette “parce qu’il faut penser à ceux qui meurent de faim”. Désolé, mais de finir mon assiette, cela n’a jamais donné plus à manger à un petit africain”.
Touchante réminiscence, mais conclusion un peu simple. Qui diable vous demande de porter toute la misère du monde sur vos frêles épaules ? Entre ce rôle de géant Atlas qu’on ne vous demande pas et l’indifférence narquoise affiché par notre hôte, il existe de justes milieux. Je l’ai dit, je ne suis pas le défenseur de José Bové – dont je ne partage nullement les idées politiques – je réagis seulement aux satires un peu faciles de Maître Eolas. A la caricature du complot des multinationales des uns répond celle de l’écolo gauchiste hanté par l’Apocalypse des autres. Sans me “complaire dans la componction absolue”, je dis qu’il ne faut pas ridiculiser par ce biais le principe de précaution, que c’est une avancée majeure, que nous avons en effet une responsabilité énorme dans la dégradation de notre environnement (et dans celui des autres).
Enfin, je n’occulte en aucun cas “l’ensemble des bénéfices tirés des progrès scientifiques” je dis seulement que – plutôt que de nous lancer dans des querelles idéologiques à travers une action très théâtrale – nous devrions réfléchir à une troisième voie, une voie qui nous permette de sortir du dilemme traditionnel croissance/décroissance.
(…) Si j’ai répondu un peu vivement aux railleries (j’allais dire de Maître Folas, notaire) – de Maître Eolas, c’est que depuis de trop nombreuses années on prend un peu à la légère les alarmes des associations écologistes. On se fixe bien trop d’ailleurs sur la question des OGM (…). Eolas réagit en juriste souligne un de ses confrères ; il réclame des preuves. Mais pendant combien de temps, pendant combien d’années encore faudra-t-il s’évertuer à en donner pour avoir l’illusion de convaincre les éternels sceptiques ? Je me souviens de l’époque, pas si lointaine, où on niait le réchauffement climatique et le temps de convaincre tous les saint Thomas de la place nous avons perdu dix ans. Puis il a fallu les convaincre que ce dérèglement avait aussi une cause anthropique – et là encore la partie n’est pas encore gagnée, malgré les conclusions du GIEC et de ses 500 scientifiques. Attention à ce que la demande constante de preuves ne devienne pas l’éternel alibi de l’inaction.
Réponse à un internaute qui pose la question du clivage entre notre désir de nature et notre attitude, souvent peu respectueuse, à l’égard de l’environnement :
Je ne vous ai pas répondu sur le clivage que vous évoquez et qui vous fascine. Je crois moi aussi que cette opposition entre une nature vierge et une nature qui serait domptée (pervertie par l’homme) est largement artificielle et répond le plus souvent à une vision idéalisée. Elle a presque toujours existé : mythe de l’Age d’or, gentillesses bucoliques à la mode du XVIIIème siècle, en passant par les visions eschatologiques de certains fondamentalistes de l’écologie moderne. Le jardin perdu renvoie le plus souvent à celui de l’enfance, à ce paradis en effet à jamais perdu. Il n’en reste pas moins qu’une contradiction existe entre notre besoin de nature et notre mode de vie ; cette opposition constitue peut-être même pour nos contemporains une stimulation comme tout conflit psychique à titre individuel ou toute débat systémique au niveau social. Je crois même que nous sommes à la croisées des chemins. Comment nous positionner entre ces deux exigences apparemment contradictoires ? Depuis un siècle et demi l’humanité a connu l’un des plus grand bouleversement de son histoire, et celui-ci s’est encore accéléré depuis 1945. Après cette date, la reconstruction mais aussi la logique d’une croissance poussée à l’extrême nous a conduits à une véritable déconnection de notre milieu naturel (point besoin, pour le constater, de faire appel à une nature idéalisée). Pour la première fois depuis son apparition sur terre, non seulement l’homme contribue largement a modifier le climat de la planète mais il met aussi en question sa propre survie (« Inconscience » a raison d’évoquer la baisse de fertilité masculine à ce propos, un phénomène parmi bien d’autres). Cette menace de disparition n’est pas un délire d’écologiste fanatique c’est un constat établi par des hommes comme l’astrophysicien Hubert Reeves, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss ou le philosophe René Girard. Nous cherchons donc un nouvel équilibre. Mais nous devons faire vite afin – je ne dis même pas d’anticiper – mais seulement d’accompagner les changements brutaux et irréversibles. N’oublions pas que l’exode urbain (pour rural), qui s’accentue dans le monde entier, contribue à pérenniser cette déconnection (mégapoles de plus de dix ou quinze millions d’habitants). Il faudra donc se résoudre d’une façon ou d’une autre à d’inévitables sacrifices.
Un autre internaute m’écrit :
“@ Laurent Dingli
“une voie qui nous permette de sortir du dilemme traditionnel croissance/décroissance.”
Il n’y a de dilemne que pour quelques illuminés : jusqu’à présent et de manière absolument constante, la croissance s’est toujours traduite par une augmentation de l’espérance de vie et de la santé des populations”.
Ma réponse :
Alors je me revendique fièrement comme un illuminé et j’espère éclairer un peu vos ténèbres. Arrêtez de tout ramener béatement à la longévité du troupeau d’ultra-consommateurs occientaux repus que nous sommes. Il n’y a pas que les pays développés et leur longévité qui compte ! Toujours ce Moi, moi et encore moi… de même que la longévité des vieillards européens ou des consommateurs chinois et américain au prix de l’épuisement des ressources de la planète me paraît constituer un choix discutable (vous le récuserez évidemment). Bref ! chacun son choix de société. J’ai choisi l’illumination.
(…) Je n’ai jamais écrit que les pays développés ou émergents n’avaient pas droit à la croissance, mais tout simplement que cela ne sera pas possible suivant notre modèle de société actuelle. Que cela vous déplaise ou non à votre tour, le Chinois ou l’Indien ne pourra pas gaspiller autant de ressources que nous – et il faut s’en féliciter. Je sais bien que cela bouscule votre dogme (les écologistes comme moi ne sont pas les seuls à en avoir), mais c’est ainsi. A titre d’exemple, en 2006, la Chine a publié 41 milliards de journaux, 3 milliards de périodiques et 6, 2 milliards d’exemplaires de livres. Même en recyclant dix fois le papier, il n’y a pas suffisamment de forêts sur la terre pour subvenir aux seuls besoins de ce grand pays comme l’ont indiqué des études américaines. Ne me faites donc pas dire ce que je n’ai pas dit. Evidemment que ces pays doivent accéder à un mode de vie acceptable, mais ils le feront suivant la troisième voie dont j’ai parlé. Ce n’est pas un délire d’illuminés, c’est un simple constat. Cesser de croire naïvement que le génie de l’homme peut tout résoudre. J’ai beaucoup d’admiration pour ses capacités mais j’aime aussi l’humilité. Avez-vous entendu dire que nous n’avions cette année que trois mois de réserves de céréales dans le monde entier ? Cette information vous a-t-elle seulement intrigué, inquiété, interpellé ? Apparemment pas. Vous êtes-vous par ailleurs demandé si notre mode de vie d’ultra consommateurs avait une incidence sur d’autres régions du globe ? Je sais que la mode est à la non culpabilisation après une phase d’excès inverse. Mais – caricature ou pas – il y a une réalité : quand un européen, un américain ou un asiatique roule en 4×4, prend constamment l’avion, se gave de viande ou de sushis, joue au golf ou utilise comme moi internet – cela a une incidence directe sur notre sort commun. Si nous sommes tous confrontés au dérèglement climatique, nous avons plus de moyens de défense qu’un paysan du Bangladesh. Ceux-là n’ont pas eu le temps d’aller dans l’école moderne dont vous parlez ou d’acheter le frigo de nos rêves et certains n’en auront peut-être jamais l’occasion si nous continuons ainsi. Le régime hydrologique de l’Asie s’est déjà considérablement modifié menaçant de sécheresse et, à terme, de famine une des régions les plus peuplées du globe. Même les poissons de l’Antarctique sont bourrés de PCB. Réveillez-vous !
(…) Internet remplacera le papier ? Sans doute. Mais qui règlera le problème d’Internet lui-même. Suivant une récente étude britannique les réseaux émettent davantage de GES que tout le trafic aérien du monde. Quand vous écrivez que nous avons trois mois de stock de céréales grâce aux pesticides et aux OGM, vous ne vous interrogez pas davantage sur la cause de cette carence alarmante. Les menaces sont pourtant connues : dérégulation climatique due en partie aux activités humaines, déforestation effectuée pour des raisons essentiellement spéculatives (commerce de l’huile de palme et autres agrocarburants) ou alimentaire, surpêche, exploitation pétrolière et minière souvent anarchique, etc. autant d’activités qui – loin d’aider les populations pérennisent cette fuite en avant et ce pillage totalement irresponsable des ressources.
(…) L’exploitation de l’huile de palme en Indonésie, qui est en train de détruire les derniers lambeaux de forêt primaire, ne sert pas au développement durable, mais contribue à augmenter l’effet de serre, à rendre les inondations plus catastrophiques et à éroder la biodiversité.
(…) Je partage l’avis d’une intervenante sur la précaution avec laquelle il faut considérer les différentes études, quelle que soit notre approche. Nous attendons depuis longtemps la mise en place d’organismes d’expertise fiables et indépendants. Plusieurs pays dont l’Angleterre ont par ailleurs institutionnalisé le système des “lanceurs d’alerte”, En France ou en Europe, ce sont ces “illuminés” – pour reprendre le terme agressif et méprisant d’un internaute – qui ont ainsi alerté l’opinion et les pouvoirs publics sur le scandale des organochlorés ou de l’amiante (dont certaines études relativisaient ou niaient les dangers pour la santé) : Je rappellerai seulement que les effets cancérigènes de l’amiante (comme du tabac) étaient connus des médecins allemands dans les années trente. Les Américains ont mis vingt ans pour prendre en compte ces données et la France près de cinquante. On voit, à travers ce seul exemple, que la “preuve” scientifique ne suffit pas et qu’il faut vaincre certaines inerties ou positions positivistes béates.
Vendredi 4 janvier 2008