Cochonneries d’hier et d’aujourd’hui, par Michel Pastoureau

Qui parmi nous a déjà visité une porcherie industrielle ? Ces crétins du Moyen Age, qui pensaient que les animaux étaient des êtres sensibles, qu’ils avaient une âme et qu’ils pouvaient comprendre ce qu’était le Bien et le Mal, n’avaient certainement jamais pensé à cela : martyriser des porcs pour gagner de l’argent !
 (…) Qui parmi nous a déjà visité une porcherie industrielle ? Je suis normand d’origine et breton de cœur, je n’ai aucune animosité envers les éleveurs de porcs, je ne milite dans aucune société protectrice des animaux ; je suis simplement historien, spécialiste des rapports entre l’homme et l’animal. Or, l’honnêteté m’oblige à dire que ces porcheries industrielles sont des lieux abominables, constituant une sorte d’enfer sur Terre pour les animaux qui s’y trouvent. Les truies sont enfermées par centaines dans des espaces qui leur interdisent de se déplacer. Leur vie durant, elles ne voient jamais la lumière du soleil, ne fouillent jamais le sol, sont nourries d’aliments chimiques, gavées d’antibiotiques, inséminées artificiellement. Elles doivent produire le maximum de porcelets en une seule portée, avoir le maximum de portées dans les quelques années de leur misérable vie, et lorsqu’elles ne sont plus fécondes, elles partent à l’abattoir. Les porcelets eux-mêmes doivent engraisser le plus vite possible, produire le maximum de viande, et tout cela, bien sûr, au moindre coût. Ces crétins du Moyen Age, qui pensaient que les animaux étaient des êtres sensibles, qu’ils avaient une âme et qu’ils pouvaient comprendre ce qu’était le Bien et le Mal, n’avaient certainement jamais pensé à cela : martyriser des porcs pour gagner de l’argent !
Où sont passés les cochons de nos campagnes ? Où peut-on encore les voir gambader autour de la ferme, jouer les uns avec les autres, se faire caresser par les enfants, partager la vie des paysans. Nulle part ! Nous avons oublié que les cochons – mais cela est vrai de tous les autres animaux de la ferme – étaient des êtres vivants et non pas des produits. Qui, dans la presse, a évoqué leur sort pitoyable, leur vie de prisonniers et de condamnés lorsque l’actualité a récemment parlé du prix de la viande de porc ? Qui a rappelé qu’avant d’être un produit de consommation, le cochon était un animal vivant, intelligent, sensible, anatomiquement et physiologiquement proche cousin de l’être humain. A ma connaissance, personne. De même, à propos des débats autour des cantines scolaires, qui s’est interrogé sur les raisons qui font que certains peuples mangent du porc et d’autres non ? C’était pourtant un dossier passionnant, l’occasion de s’instruire et de rappeler les nombreuses hypothèses qui ont été avancées depuis le Moyen Age pour expliquer les rejets et les tabous qui entourent cet animal. Personne ne l’a fait.
Les animaux domestiques n’ont plus d’histoire, plus de mythologie, plus de symbolique. Ils ne suscitent plus aucune curiosité, aucune interrogation, aucune nostalgie. Ils n’ont même plus droit à une vie simplement animale. Ce sont des produits ! Comme tels, ils doivent participer au «redressement productif» et générer du profit. Un profit ironiquement bien mince, voire inexistant, pour les éleveurs de porcs, ce qui rend encore plus aberrante et intolérable l’existence de ces porcheries industrielles, inhumaines, «inanimales» même, si l’on peut oser un tel néologisme. Elles polluent l’air, la terre, les eaux des rivières et celles de la mer. Dans les Côtes-d’Armor, des sangliers sont morts à cause du rejet dans la nature du lisier produit par l’élevage intensif de leurs cousins domestiques. Un comble ! A la cupidité s’ajoute l’absurdité. L’être humain est devenu fou. Il tue non seulement ses semblables mais tout ce qui vit autour de lui. Il rêve même d’aller sur Mars ou ailleurs vérifier si la vie existe et, si c’est le cas, y semer la mort. Tout en donnant des leçons à l’univers entier et en paradant à la COP 21, 22, 23. Protéger la nature, défendre l’environnement, sauver la planète ? Certes. Mais pour quoi faire ? Pour sauver une humanité barbare et suicidaire, cruelle envers elle-même, ennemie de tous les êtres vivants ? Le mérite-t-elle vraiment ? Le souhaite-t-elle réellement ? Il est permis d’en douter.