Olivier Langlois, Une femme à abattre

une_femme_a_abattre_1Synopsis : Professeur de français, Claire Chambon (Mélanie Doutey) vit le grand amour avec Andreï (Pawel Delag), un journaliste russe exilé à Paris. Le 7 octobre 2006, jour anniversaire de Vladimir Poutine, la grande reporter Anna Politkovskaïa est assassinée dans l’entrée de son immeuble, à Moscou. Quatre balles dans la poitrine, une dans la tête, tirées à bout portant. Andreï était un ami d’Anna. Lorsqu’il avait quitté le pays, elle avait choisi de rester pour résister. Andreï retourne à Moscou pour les obsèques. Il a également décidé de faire toute la lumière sur le meurtre de son amie. Bientôt, il ne répond plus au téléphone. La peur au ventre, Claire s’envole pour Moscou, à sa recherche…

Mélanie Doutey – © Raspail production

une_femme_a_abattreCe projet télévisuel était un parcours semé d’embûches. Je me suis d’ailleurs installé devant mon écran de télévision avec des a priori et un certain scepticisme. J’ai craint le pathos, la mièvrerie ; j’imaginais que la violence brute de la réalité serait forcément édulcorée par la fiction. L’exercice, trop aventureux, était pour ainsi dire voué à l‘échec. Et pourtant, je me suis rapidement laissé convaincre par la maîtrise du cinéaste, par l’intelligence du scénario et par le jeux des acteurs. La prestation de Mélanie Doutey est remarquable. Il n’y a pas de cabotinage ; rien n’est surjoué. On suit la descente aux enfers de cette jeune femme soudain confrontée à un univers terrifiant dont elle ignore les règles. Bien sûr, il eût été impossible de restituer la réalité dans toute son horreur, les séquelles des guerres de Tchétchénie, les menaces, les tortures, les exécutions sommaires, et ce n’était d’ailleurs pas le but de cette création hybride. Une femme à abattre évolue en effet dans une marge ténue entre le docu-fiction et la fiction pure. Or cet exercice d’équilibriste si périlleux est parfaitement réussi : l’atmosphère de terreur, la solitude de l’héroïne, Claire, l’ignorance où elle se trouve du sort de son compagnon, Andreï, tout est retranscrit avec une extrême justesse. On évite notamment le manichéisme et le ton moralisateur, écueils principaux des oeuvres à connotation politique.

L’assassinat d’Anna Politovskaïa est le point de départ de l’intrigue. « Pour moi, écrit Olivier Langlois, l’enjeu consistait à lui rendre hommage, mais au-delà, à parler de la Russie d’aujourd’hui et de tous ceux, vivants, qui résistent sur place et ont besoin d’être soutenus. Ainsi, les journalistes de son journal, Novaïa Gazeta, que nous avons rencontrés, continuent de prendre des risques. Je trouvais intéressant aussi d’aborder le sujet à travers le regard intime d’une jeune Française amoureuse, sans réelle conscience politique, qui fait l’apprentissage de l’engagement face à cette dure réalité et dont les échecs nourrissent la réflexion » (1) .

polit-3f72cAnna Politovskaïa – © Amnesty international.

Les deux scénaristes, Didier Lacoste et Pauline Rocafull, qui ont mené leur enquête jusqu’à Moscou, ont recherché « un dispositif à double détente, plus émotionnel que la stricte enquête d‘une journaliste sur les traces d‘Anna Politkovskaïa ». Quant à Mélanie Doutey, elle s’est imprégnée de l’histoire récente de la Tchétchénie et de la vie d’Anna Politovskaïa. L’actrice avait déjà été touchée par l’action de la journaliste russe lors de la prise d’otages de Beslan. On se souvient qu‘Anna Politovskaïa devait alors servir de médiatrice mais qu‘un empoisonnement l‘avait empêchée de se rendre en Ossétie du Nord. « Son assassinat n’a fait qu’accroître mon intérêt, déclare Mélanie Doutey, et j’ai lu ses écrits sur la politique de Poutine, sur la guerre en Tchétchénie, sur les femmes russes » (2) . Une femme à abattre d’Olivier Langlois est un téléfilm qui a su conférer à la fiction la force brute du documentaire. Une belle maîtrise.

(1) Entretien avec Olivier Langlois sur le site d’Arte.

(2) Cité sur le site HDHOD.

Liens : l’article de Marion Festraëts dans l’Express.fr ; le point sur la liberté de la presse en Russie fait par Elsa Vidal, responsable Europe de RSF, à l’occasion de la projection du film d’Olivier Langlois (4ecrans.worldpress).

25 avril 2009

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser, “Laurent Dingli, Olivier Langlois, Une femme à abattre”, Le site de Laurent Dingli, avril 2009.