Greenpeace : une inquisition écologique ?

28 octobre 2008

Je réponds ici à un internaute choqué par l’opération commando de la « Brigade climatique « non violente » de Greenpeace » dont les membres, « après enquête », ont sanctionné une cinquantaine de commerces du centre ville de Perpignan jugés « coupables » de laisser leurs enseignes lumineuses allumées. Cet internaute reproche donc aux militants écologistes de se substituer à la police. Ma réponse :
Daniel Ciccia,
Les militants de Greenpeace n’essaient pas de se substituer aux forces de police ni de constituer je ne sais quelle milice, ils tentent seulement d’attirer l’attention du public, comme ils le font depuis trente ans, sur certains gaspillages ou sur la destruction de notre environnement. Je sais bien qu’il y a des radicaux dans leur rang, mais cela ne doit pas faire condamner des méthodes qui restent non violentes et dont le but est d’informer. Les pays anglo-saxons ont institué depuis longtemps des « lanceurs d’alerte », sans que l’on considère ces derniers comme des pseudo-flics verts. Ce sont ce genre de militants, il faut le rappeler, qui attirent fort heureusement l’attention du public sur des scandales comme celui des PCB ou la raréfaction des réserves halieutiques.
Vous êtes bien sévère avec Greenpeace. L’association a sans doute des défauts, mais elle ne cherche nullement a se placer au-dessus de l’Etat ou à se substituer à lui d’une quelconque manière. Je connais un peu cette ONG pour la soutenir depuis près de dix ans, bien qu’elle se situe dans une mouvance altermondialiste dont je ne partage pas la philosophie, comme vous l’aurez sans doute compris. Mais, à l’instar des questions sociales, j’estime que certains combats doivent transcender les querelles idéologiques.
Je vous assure que vous vous trompez sur le compte de Greenpeace, peut-être parce que vous n’avez pas une vue assez large de la question, ce qui est normal, on ne peut connaître tous les domaines.
Je vous ai donné un exemple, hier. En voici un autre aujourd’hui : depuis des années, des associations comme Greenpeace, les Amis de la terre, le WWF, luttent pour la préservation des forêts primaires du globe et des populations qui y vivent. C’est grâce au lobbying international de ces ONG qu’a progressé la certification du bois FSC, assurant la protection de ce biotope essentiel pour la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique. C’est aussi parce que les ONG ont harcelé la communauté européenne depuis des années, et que la présidence française s’est montrée très volontariste dans ce domaine, que des mesures ont été prises au plan communautaire. On pourrait dire la même chose pour la protection des espèces marines. Or, l’Etat, qu’il soit français, espagnol ou allemand, ne se souciait pas de ces questions-là, parce qu’il ne s’y intéressait pas, et qu’il était souvent lui-même partie prenante dans la surexploitation des ressources et la dégradation de l’environnement (l’affaire du désarmement des navires de la marine en Inde, les liens du pouvoir politique avec la FNSEA, sont quelques exemples parmi bien d’autres). Si nous avions écouté un peu plus les militants écologistes, les industriels de l’automobile auraient peut-être un peu mieux anticipé certains effets de la crise actuelle, plutôt que de miser sur des véhicules très consommateurs en énergie et dont le public se détourne aujourd’hui : résultat de cette gestion de profit à court terme, des ouvriers se retrouvent sur le carreau. Je ne dis pas qu’il s’agit de la seule cause de la crise actuelle qui a des origines multiples (financières, variété de la gamme industrielle, productivité, etc), mais je me souviens très bien des ricanements avec lesquels on accueillait les écologistes, il y a quelques années, quand ils parlaient de voitures « propres ». Autre exemple : Si nous avions écouté un peu plus les associations, les différents ministres de l’Agriculture et de la pêche auraient assuré la reconversion d’un certain nombre de pêcheurs français, qui vivent aujourd’hui un drame humain, plutôt que de se contenter de faire du lobbying à Bruxelles pour des raisons clientélistes et catégorielles (l’actuel ministre, qui avait officié sous Chirac, s’est reconverti bien tardivement à la gestion « durable »).
Voyez encore les résultats du Grenelle de l’environnement : c’est parce que, pour la première fois, les ONG se sont concertées avec les représentants de l’Etat qu’un grand train de réformes est mis en place. Vous remarquerez aussi que c’est le seul sujet qui a donné lieu à un consensus à l’Assemblée nationale.

Voir tous les militants écologistes comme de dangereux gauchistes et de petits commissaires du peuple en herbe, est une vision un peu réductrice (je ne dis pas que c’est la vôtre). Nous devons apprendre à travailler ensemble. La vitalité des associations ne marque pas toujours la faillite de l’Etat de droit, elle sanctionne aussi ses limites naturelles.

30 octobre 2008
Daniel Ciccia,
Merci pour votre lien. Je connais bien tout cela. J’ai même écrit un article dans lequel je me prononce contre le principe de la désobéissance civile que j’estime dangereux (dans un contexte démocratique, cela s’entend). Mais, ce que je veux vous dire, c’est que cette réalité n’est pas tout le combat d’une grande association internationale. Car alors, se limiter à une caricature, même si elle a un fond de vérité, c’est faire exactement la même chose que de peindre la droite française comme un groupement dont le seul but serait d’enrichir les riches, les grandes entreprises, etc. Je crois qu’il faut aborder cette question avec beaucoup de nuances et essayer de voir plus en détail quelle a été l’oeuvre de chacun.

Force est de constater qu’il n’y pas encore si longtemps, la plupart des gens de droite ne comprenaient rien à l’écologie qu’ils méprisaient et considéraient seulement comme une gentille utopie émanant de babas-cool désoeuvrés, caricature opportune qui servait parfois l’intérêt de certains élus. Aujourd’hui, la planète entière s’en préoccupe, contrainte et forcée, et c’est tant mieux.

Pour autant, si l’on énumère les actes de désobéissance civile de Greenpeace, il n’y a pas de quoi fouetter un chat : faire des ronds de Zodiac dans les zones interdites du Pacifique, s’attacher à la tour Eiffel ou à une voie ferrée…
Je vous rappelle à ce propos que ce n’est pas Greenpeace qui a été jusqu’à commettre un assassinat, mais l’Etat français, le gouvernement de Laurent Fabius et de Charles Hernu, présidé par François Mitterrand (un photographe portugais tué lorsque le navire de l’ONG a été coulé par les barbouzes français). Le plus tragicomique c’est que, pendant la dernière campagne présidentielle, l’ONG tirant à boulets rouges sur Nicolas Sarkozy et évoquant la tradition pro-nucléaire des présidents français, n’avait mis dans sa liste que des présidents… de droite. C’est dire jusqu’où va la mauvaise foi idéologique, mauvaise foi que j’ai aussitôt épinglée dans un autre article à cette époque.
Tout ça pour dire, et redire, qu’il faut dépasser certaines faiblesses bien réelles pour se concentrer sur les qualités d’une grande association. Savez-vous par exemple qu’au Brésil les militants de Greenpeace risquent leur vie tous les jours et que depuis des années, les locaux de l’association ont été transformés en un véritable blockhaus ? Quitte à ce que vous me trouviez un peu idéaliste, je considère que ce combat-là est courageux et valeureux parce qu’il prépare réellement l’avenir de nos enfants. Si dans trente ans, il existe encore quelques lambeaux de forêts primaires, nous le devrons certes à la bonne volonté des Etats, aux accords internationaux, mais nous le devrons aussi aux militants de terrain qui auront su alerter l’opinion, faire des dossiers très fouillés, conseiller les hommes politiques, enfin tout ce travail dont vous ne parlez pas et que l’activisme un peu spectaculaire dissimule peut-être aux yeux du grand public.

Dernière chose, et pardon d’être aussi long, mais si le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait fait preuve de la même fermeture d’esprit que le parti des Verts, s’il s’était limité à dédaigner les écologistes comme des adversaires qu’il se serait contenté de caricaturer, il n’y aurait pas eu de Grenelle de l’environnement, ni de consensus comme celui dont je vous parlais l’autre jour.

Commentaire posté en digression de l’article Une affaire d’Etat à la cour d’appel de Paris de Philippe Bilger