Je voulais depuis longtemps écrire un article sur les conséquences catastrophiques de la surconsommation de viande. Mais je ne pourrai faire mieux que Danielle Nierenberg qui, dans l’Etat de la planète 2006, a publié « Repenser l’industrie mondiale de la viande » ; c’est pourquoi je livre aujourd’hui quelques extraits de ce document fondamental que tout le monde peut d’ailleurs se procurer auprès de l’institut worldwatch. Je précise que la consultation de ces quelques passages ne remplace en aucun cas la lecture de l’original. Le texte de Danielle Nierenberg est percutant et très argumenté. Il doit nous aider à prendre conscience, si ce n’est déjà le cas, de l’urgence qu’il y a à repenser nos conceptions absurdes et barbares en matière d’élevage industriel.
© One Voice.
« Depuis fin 2003, date à laquelle la grippe aviaire s’est déclarée en Asie du Sud-Est, les responsables de la santé publique, les agriculteurs, les vétérinaires, les porte-parole des gouvernements et les médias ont qualifié cette maladie de « désastre naturel », sous entendant qu’il était possible de la prévenir. Pourtant, cette forme très virulente de la grippe aviaire n’est pas simplement « apparue ». La grippe aviaire, la maladie de la vache folle ainsi que d’autres maladies qui peuvent passer de l’animal à l’homme sont les symptômes d’un vaste changement qui s’est opéré dans l’agriculture. La production industrielle d’animaux, ou agriculture industrielle, se répand à travers le monde, anéantissant sur son passage les petites exploitations, les élevages d’animaux indigènes et concentrant la production de viande entre les mains de quelques grosses sociétés.
L’élevage est essentiel pour l’homme. Il couvre un tiers de la surface totale de la planète, utilise plus des deux tiers des terres agricoles et se pratique dans quasi tous les pays. Le nombre des bêtes d’élevage a augmenté de 38% depuis 1961, passant de 3, 1 milliards à plus de 4, 3 milliards. L’Inde et la Chine abritent les plus grands cheptels : l’Inde comptent environ 185 millions de vaches, soit près de 14 % du cheptel mondial et la Chine élève près de la moitié du cheptel porcin avec plus de 950 millions de têtes. Quant aux volailles, leur nombre a quadruplé depuis 1961, passant de 4, 2 à 17, 8 milliards d’oiseaux.
Le bétail couvre, complètement ou en partie, les besoins alimentaires quotidiens de presque 2 milliards de personnes dans le monde. Plus de 600 millions de paysans sont considérés comme de petits producteurs de bétail, éleveurs de chèvres, de bovins, de poules et d’autres animaux. Et pour quelque 200 millions de personnes, la seule ressource possible est le pâturage du bétail (…)
La majorité d’entre nous ne sait pas, ou ne veut pas savoir, comment la viande est produite car les systèmes de production intensive nous offrent le luxe de ne pas penser aux implications d’un élevage industriel (…).
« On estime que 258 millions de tonnes de viande ont été produites à travers le monde en 2004 (…) La production mondiale de viande a plus que quintuplé depuis 1950 et plus que doublé depuis les années 70 (…) Ce n’est pas aux Etats-Unis ou en Europe que la consommation. augmente le plus vite, mais dans les pays en développement où elle atteint aujourd’hui 30 kilos en moyenne par personne et par an (Dans les pays industrialisés la consommation atteint près de 80 kilos par an et par personne (…)
La « ferme usine » est le procédé le plus rapide pour élever les animaux. Bien que la définition varie d’un pays à l’autre, ces industries, connues sous le terme de « système d’élevage en confinement des animaux », sont des installations qui élèvent dans la promiscuité des centaines de milliers de vaches, cochons, poulets ou dindes, avec peu ou pas d’accès à la lumière naturelle et à l’air, et très peu de possibilité de se mouvoir naturellement. Ces exploitations sont à même de produire des millions d’animaux chaque année (…) aux Etats-Unis et en Europe, au fur et à mesure que la législation sur le travail et l’environnement se renforce et devient plus restrictive, les grandes entreprises agroalimentaires déplacent leurs activités à l’étranger, de préférence dans des pays aux législations moins contraignantes. De la Chine et du Brésil à l’Inde et à l’ex-URSS, la viande est maintenant un produit mondialisé, contrôlé par une poignée de société multinationales (…)
Il est très facile d’oublier comment la viande est fabriquée. Les jolis emballages du supermarché donnent peu d’indications sur la manière dont a été traité l’animal qui termine dans notre assiette ou sur les gens qui l’ont élevé et abattu. Les étiquettes collées sur le papier ne montrent pas les poules estropiées et déformées à force de vivre dans des cages grillagées, les truies entassées dans des caisses de gestation ou les veaux debout dans les flots de lisiers des parcs.
Elles n’offrent pas d’indications non plus sur les membres estropiés des préparateurs de viande ou sur les mains pleines de cicatrices des manipulateurs de volaille (…) Comme les marges de profit dans l’industrie sont très faibles, le producteurs essaient de réduire les coûts où ils peuvent. Ils accélèrent les lignes d’abattage et de découpe et souvent ne fournissent pas l’équipement adéquat. Ils obligent les employés à travailler dans un environnement crasseux, froid, glissant et exigent qu’ils effectuent jusqu’à plus de douze heures d’affilée. Toutes ces conditions font du conditionnement de la viande un des métiers les plus dangereux aux Etats-Unis. Le nombre de blessés sur toute la chaîne de production, de l’assommeur qui assomme littéralement les cochons ou les vaches pour les rendre inconscientes, aux fendeurs et désosseurs qui découpent la viande. est trois fois plus important que dans une usine américaine moyenne. Chaque année, un salarié sur trois des usines de conditionnement de viande est blessé sur son lieu de travail. Mais comme la plupart de ces travailleurs sont des immigrants sans papier ou tout en bas de l’échelle économique, la plupart ne signalent pas leurs blessures et il est donc évident que le chiffre réel est nettement supérieur (…)
Les milliards d’animaux élevés dans ces fermes souffrent eux aussi de problèmes physiques et comportementaux. Le confinement des veaux est un des exemples les plus connus et représentatif de la cruauté de cette industrie. Retirés à leur mère quelques jours seulement après leur naissance, les veaux sont confinés dans d’étroites cages qui les empêchent de bouger de plus de quelques pas. Ils cherchent l’interaction mais la cage les empêche d’être en contact avec d’autres animaux. Pendant les seize semaines que dure leur vie (vingt en moyenne, en Europe, ndlr), ils sont seuls, ne peuvent ni s’étirer, ni s’allonger confortablement, ni se lécher. Nourris avec des seaux, les veaux ne peuvent pas téter normalement, ce qui induit des comportement névrotiques, comme de téter ou de mâcher leur cage (…)
Les truies passent également la majeure partie de leur vie dans des cages d’environ 60 centimètres de large sur 2 mètres de long, où elles ne peuvent ni se tenir debout, ni se retourner. Les porcelet sont sevrés précocement, dès l’âge de trois semaines, et sont ensuite entassés dans des cages dépourvues de litières, ce qui frustre leur désir instinctif de fouiner. Il n’est pas surprenant que ces conditions stressantes provoquent des attitudes anormales ou agressives comme de se mordre la queue. Par conséquent, les producteurs coupent sans anesthésie leurs queues ou leurs dents. Quand les porcelets atteignent environ 23 kilos, ils sont installés dans des grandes de « finition » où ils passent quatre mois avant d’atteindre leur poids idéal d’abattage de 113 kilos. Ces installations sont gigantesques, s’étendent sur des centaines d’hectares et abritent des milliers de cochons à la fois (…)
Cette production moderne de la viande provoque de sérieux problèmes pour l’environnement, comme le prouve l’examen même le plus superficiel. En ce qui concerne les produits qui entrent dans la consommation de la viande et d’autres produits animaux, ce sont les céréales qui en constituent de manière croissante la part la plus importante, principalement le maïs bas de gamme et le soja. Ces deux céréales servent actuellement à nourrir le bétail du monde entier (…)
Un autre produit assez louche, sert également à nourrir le bétail. Une part croissante de la pêche mondiale est actuellement broyée et mélangée aux céréales qui nourrissent le bétail. Environ un tiers des poissons pêchés en mer est utilisé comme farine de poisson, dont les deux tiers sont destinés aux poulets, cochons et autres animaux. C’est une des raisons pour lesquelles les zones de pêche dans le monde entier sont en péril, ce qui menace la vie et les habitudes de vie de millions de personnes (…)
La production industrielle de bétail peut aussi être extrêmement gourmande en ressources naturelles. Goutte après goutte, la production animale est l’une des plus grosses consommatrices d’eau dans le monde. Le bouf nourri aux céréales demande beaucoup plus d’eau que la plupart des autres aliments : produire ne serait-ce que 0, 2 kilo de bouf, peut nécessiter 25 000 litres d’eau alors que, dans un pays en développement, la production d’un pain ne nécessite que 550 litres d’eau.
Selon un rapport de la Commission des Etats-Unis sur le développement durable datant de 2004, le choix que font les pays en développement de consommer davantage de viande aura un impact significatif sur les ressources en eau de la planète au cours des prochaines décennies. Si on répond à cette demande par des procédés industriels, les besoins additionnels en eau seront de l’ordre de 1500 kilomètres cubes, soit l’équivalent du flux annuel du Gange. Si la préférence des consommateurs se porte en revanche sur les poulets, les cochons et le bétail nourris en pâturage, la demande en eau sera plus raisonnable. En général, c’est vers une plus forte consommation de viande, et non l’inverse, qu’évolue le régime alimentaire dans les régions les plus peuplées et les plus pauvres en eau dans le monde. Par conséquent, la terre et l’eau vont être toujours davantage détournées de cultures qui demandent moins d’eau et sont essentielles à la sécurité alimentaire comme les haricots et les céréales à haute teneur en protéines.
A l’autre bout de la chaîne, l’abattage et la transformation des animaux consomment aussi beaucoup d’eau. Le programme des Nations Unies pour l’environnement estime que de 2000 à 15 000 litres d’eau sont utilisées par tonne d’animaux sur pieds aux Etats-Unis. Environ 44 à 60% de cette eau alimente les aires d’abattage, d’éviscération ou de désossage des abattoirs. A Hong Kong, un abattoir produit 5 millions de litres d’eaux usées par jour.
Le pétrole entre aussi dans le processus de production moderne de la viande. Chaque étape de la production, de la culture des céréales jusqu’au transport et à la transformation des animaux, est hautement énergétivore. Produire une calorie de bouf demande 33% de plus d’énergie fossile que produire une calorie de pomme de terre. Les unités d’engraissement, pour leur part, consomment d’énormes quantités d’énergie pour le chauffage, la climatisation et l’éclairage (…)
Les déchets des exploitations ont, comme les déchets des humains, une forte teneur en azote provenant essentiellement de l’alimentation animale, ou plutôt des engrais utilisés pour sa culture. D’une certaine manière, ces fermes industrielles doivent elles aussi leur existence à l’avènement des engrais chimiques qui ont rendu possible le découplage de l’élevage et des récolte. Le fumier naturel, quant il sert à fertiliser les champs, enrichit le sol et est un produit clé pour une ferme saine. Mais quand les agriculteurs tirent leur engrais d’un sac, ils n’ont plus besoin de fumier. Aussi aisément qu’on livre l’engrais aux cultivateur de maïs, le maïs sera à son tour livré à la ferme industrielle. Dans ces deux situations, l’ingrédient de base ne provient plus du territoire où il est utilisé et l’écologie locale ne constitue plus une limitation à la production intensive. Dans la mesure, pourtant, où les coûts environnementaux vont croissants, ce système fracturé sera certainement insoutenable sur le long terme (…) Aux Etats-Unis, les troupeaux produisent chaque année plus de 600 millions de tonnes de déchets dans les « fermes usines ». La moitié seulement est effectivement réintroduite dans le cycle agricole. Le reste finit par polluer l’air, l’eau et même le sol ; les nitrates provenant du lisier peuvent suinter jusqu’aux nappes phréatiques au péril de la santé publique (…)
Danielle Nierenberg, « Repenser l’industrie mondiale de la viande », dans L’Etat de la Planète 2006. Gros plan sur la Chine et l’Inde. Préface de l’édition française : Laurence Tubiana. Institut Worldwatch.
Liens : L’état de la planète (ce site est financé par l’achat du livre (19e), alors n’hésitez pas car vous y trouverez de très bons articles sur l’eau, les énergies renouvelables, les nanotechnologies, etc.), voir aussi, la page de One Voice sur l’élevage industriel des veaux. Des précisions et des images insoutenables sur l’abattage des veaux sur le site Réseau libre (âmes sensibles s’abstenir). Voir aussi la bande annonce du film Notre pain quotidien sur Youtube.
12 mai 2007