Robespierre ou comment un homme sincère et courageux invente une monstruosité. Biographie.
Incarnation de la Terreur, Robespierre ne connaît que des avocats ou des procureurs. Albert Mathiez et Gérard Walter sont les figures éminentes de la première catégorie et c’est avec eux que Laurent Dingli, qui relève de la seconde, rompt des lances. Robespierre étant tout entier dans sa passion politique, et sa courte vie avant le moment révolutionnaire se résumant assez vite – un père disparu, une mère morte, une sœur dévouée et un frère complice -, faire l’histoire du personnage, c’est faire l’histoire de la Révolution, celle de sa phase ascensionnelle et incandescente qui s’ouvre avec les états généraux et se clôt le 9 Thermidor.
L’abondance des sources de Laurent Dingli et sa précision du détail forcent le respect. En revanche, ses partis interprétatifs s’exposent à la discussion. Le premier de ces partis est celui que développe magistralement Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution. L’Ancien Régime était gros de réformes profondes. La France eût gagné à les laisser s’accomplir. En s’embarquant dans une révolution, elle devait payer cher ce que le mouvement naturel aurait produit à peu de frais. Quelque intimidante que soit la pensée tocquevillienne sur le sujet, et sagaces les commentaires de Laurent Dingli sur la marche de la Révolution, on reste intrigué par cette façon de faire l’histoire en se désolant de ce qu’elle fut et en plaidant pour ce qu’elle aurait pu être.
Le grand intérêt de ce Robespierre est donc ailleurs. Il est dans l’analyse de ce mouvement pervers qui aboutit à ce que Jacob Talmon a appelé la démocratie totalitaire. Et Robespierre est bien l’inventeur de ce chiasme monstrueux qui naît d’une vision binaire du monde – bons et méchants, riches et pauvres, amis, ennemis -, qui s’attache à une représentation du peuple à la fois totalement abstrait et réduit à ses phalanges les plus sanguinaires, qui procède, enfin, d’une conception paranoïaque du conflit politique, faisant du complot le moteur de l’histoire. Laurent Dingli montre ainsi qu’il n’est pas nécessaire d’être un monstre – Robespierre est sincère et courageux – pour inventer une monstruosité. Il montre encore que le sang versé compte peu pour celui qui faisait de sa propre vie le chemin de sa mort pourvu qu’elle fût, à l’antique, une «belle mort».