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Historiens et Géographes mars/avril 1998, par Michel Arondel

Travaillant d’abord sous l’autorité de son père, puis en survivance comme secrétaire d’Etat de la Marine et de la Maison du roi, le fils aîné de Colbert déploie dans sa courte existence (il est mort à trente-huit ans en 1690) une intense activité dont les divers domaines fournissent le plan de l’ouvrage : la marine de guerre, renforcée et complètement rénovée (ports, constructions navales, équipages et leur formation) ; corrélativement l’action dans les terres lointaines : Antilles et surtout « l’aventure siamoise » ; enfin le rôle de Seignelay dans la persécution des protestants avant et après la révocation de l’édit de Nantes. Encadrant ce corps du livre, on voit d’abord l’héritage et la formation de Seignelay, et c’est à la fin du volume qu’est esquissé un portrait du secrétaire d’Etat. Celui-ci se révèle un grand ministre, injustement éclipsé par la stature de son illustre père ; il n’était pas moins doué et travailleur, mais plus brillant et fastueux que l’austère contrôleur général.

Pour peindre cette carrière, le style de Laurent Dingli se veut aussi brillant ; la lecture de ce livre pétulant, débordant de vie, est aisée et passionnante, au prix, parfois, de facilités et familiarités excessives. Jean Meyer, dans sa préface, parle de style « flamboyant », à l’image de son héros, mais : « poussé à la limite du persiflage » !

Outre l’étude magistrale de la marine, on peut relever des passages particulièrement brillants, par exemple sur les affaires siamoises, ou encore sur la politique suivie face à l’émigration des protestants. Une seule réserve, peut-être : beaucoup de ces études excellentes sont un peu trop déployées « en soi », et il arrive qu’on en oublie Seignelay lui-même. Mais Jean Meyer a raison de noter finement dans sa préface la méthode de l’auteur : « un dossier bourré de menus et moins menus faits, de ceux qui par petites touches, éclairent et élargissent la vision ». Et cela conduit au portrait et à une tentative de jugement à la fin ». En effet, la question est posée par Laurent Dingli : qui était donc Seignelay ? Le « grand génie » que Claude Perrault faisait figurer parmi « les hommes illustres » de son temps ? Le jouvenceau altier et superbe dépeint par Saint-Simon ? Ou encore la personnalité flamboyante dont le « génie était encore plus vaste que celui de son père », comme l’affirmait Voltaire ? A part quelques faiblesses mineures, tout ce beau texte tente de répondre à ces questions. On salue la présence des notes en bas de page et d’un index.

Michel Arondel

Laurent Dingli, Colbert, marquis de Seignelay. Le fils flamboyant, préface de Jean Meyer, Perrin, Paris, 1997, un volume in-8 broché, 393 pages, index, 149 F.
Cet ouvrage est une version allégée pour un public élargi d’une thèse de doctorat soutenue sous la direction du professeur Jean Meyer, qui a écrit la préface.

Le Républicain Lorrain., par C. P. 25 janvier 1998

Le fils flamboyant de Colbert

« Tel père, tel fils ! ». L’adage vaut pour le marquis de Seignelay, fils aîné du grand Colbert. C’est la découverte que nous fait partager Laurent Dingli dans une thèse publiée chez Perrin : Le fils flamboyant. Celui que Saint-Simon, toujours mauvaise langue à l’égard des fils de robins, décrivait porté vers les plaisirs, fut en réalité l’élève surdoué et admiré des Jésuites du collège de Clermont (aujourd’hui Louis le Grand). A peine remis d’un voyage initiatique dans les ports européens (1670-1671), il est admis – il a vingt ans à peine – à suivre les affaires de la Marine sous les ordres de son père. A lire les instructions que lui adressa ce dernier, ce ne fut pas une partie de plaisir. Les éléments d’un caractère jugé dur et coléreux se sont forgés là.

Seignelay devient à son tour un bourreau de travail et mourra à la tâche en 1690, vraisemblablement d’un cancer généralisé. Un carrière météorique, qui avait échappé à l’attention des historiens, Voltaire excepté. Mais ceux-ci sont désormais formels : Seignelay a été l’égal de son père, sinon supérieur. Il est vrai qu’il n’avait pas hérité de toutes les charges de Colbert. Mais celles qu’il va assumer seul à la mort de son père (1683), sont considérables, puisqu’à la marine s’ajoutent les affaires religieuses et la Maison du Roi, c’est-à-dire l’octroi des charges et des pensions, l’administration de la Cour et des résidences royales. De quoi attirer les courtisans…

Le renforcement de la Marine royale est presque entièrement l’œuvre de Seignelay. Il donnera une importance à la formation tant des ingénieurs que des équipages. Les scientifiques, déjà sollicités par Colbert, sont grandement stimulés par les besoins de la navigation. De véritables expéditions, comme en 1685 vers le Siam et la Chine, sont montées avec le renforcement des irremplaçables Jésuites pour améliorer la connaissance des longitudes et de la déclinaison magnétique. Dès 1690 enfin, quelques mois avant la mort de Seignelay, la Royale sera en mesure de vaincre, devant la Tamise, la puissante flotte anglo-hollandaise.

Laboratoire de modernité, cette marine permet d’accélérer les échanges et de fonder une véritable politique coloniale. On sait combien le religieux, s’il est appuyé par le pouvoir séculier, peut agir en pionnier. Avoir en charge les affaires religieuses facilite les choses à Seignelay qui en profitera pour accroître l’autonomie économique du royaume. Mais les choses sont moins faciles en métropole. S’il se montre partisan déterminé de l’abrogation de l’Edit de Nantes (1685), Seignelay en voit les dangers, ne serait-ce que pour l’encadrement de sa marine où les calvinistes abondent. Il va tout tenter pour endiguer l’hémorragie humaine qui menace l’économie. Laurent Dingli fait ici un tableau intéressant parce que très complet des actions entreprises qui vont des conférences et missions épiscopales à l’endoctrinement des enfants élevés à leurs parents. Non sans résultat. Contrairement à ce que l’on pense généralement, c’est par dizaines de milliers que les protestants du royaume se convertirent à la religion du souverain, entraînant pour le clergé des problèmes d’encadrement et même d’encombrement des lieux de culte. Est-ce pour cela seulement que le roi décide de prendre en charge le financement des missions et l’organisation des conversions ? Ou plutôt, et c’est la thèse de l’auteur, parce que cette emprise sur l’action religieuse, permet au roi d’affirmer la prééminence du gouvernement et de l’Etat sur toutes les composantes de la société. Seignelay, dans la mesure de ses forces, aura beaucoup contribué à cette autonomisation de l’Etat.

C. P.