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Le Congo ou la banalité de l’horreur

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© logo de l’association Heal Africa

La République démocratique du Congo est une fois encore plongée dans l’horreur : exécutions sommaires, massacres de masse, viols et mutilations, morts d’enfants par malnutrition. Chacun d’entre nous peut agir pour tenter de soulager la souffrance des populations civiles, mais avant d’évoquer les questions pratiques, je voudrais rappeler très succinctement quelle est la situation politique sur place.

rdc_carteLa guerre dans cette région dure depuis près de quinze ans et à déjà fait plusieurs millions de morts. La catastrophe actuelle est, en grande partie, l’une des conséquences du génocide intervenu au Rwanda, en 1994. Un nombre très important d’hutu (miliciens Interahamwe et membres des anciennes forces armées rwandaises) se sont en effet réfugiés en RDC avec leur famille après la reprise du contrôle de Kigali par la minorité tutsi, victime du génocide (au total deux millions de réfugiés). En mai 1997, le président du Zaïre, Mobutu Sese Seko, est renversé par Laurent-Désiré Kabila, lors de la Première guerre du Congo, le pays retrouvant alors son nom de République démocratique du Congo qu’il avait perdu en 1971. Joseph Kabila succède à son père assassiné en 2001 et des négociations inter-congolaises mettent un terme à la seconde guerre du Congo en 2003. Mais la situation reste depuis lors très instable. Convoité notamment pour ses richesses, l’Est du pays est le théâtre d’affrontements répétés entre des forces rebelles intérieures ou appuyées par des gouvernements voisins (Ouganda, Rwanda, Burundi). Dans la province du Nord-Kivu, de violents combats opposent aujourd’hui la troupe du général rebelle d’origine tutsi Laurent Nkunda et l’armée congolaise assistée par des miliciens Maï-Maï et les rebelles hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). De part et d’autres, des crimes de guerre sont commis, crimes que la Mission de l’ONU en RDC (Monuc), parvient difficilement à empêcher malgré les efforts déployés. Enfin, les négociations engagées sous la pression internationale entre Joseph Kabila, président de la RDC, et Paul Kagame, président du Rwanda, n’ont pas abouti. De part et d’autre, on affiche au contraire une grande détermination pour éliminer l’adversaire. Sur les rivalités ethniques, politiques et géostratégiques diverses, viennent se greffer des intérêts économiques en raison de la présence de minerais précieux, notamment : l’or, le diamant, mais aussi le coltan, utilisé dans les téléphones mobiles ou les ordinateurs.

Des images et des témoignages bouleversants sur le site de la BBC.

Etant donné le rôle très trouble que la France a joué lors du génocide, elle se trouve aujourd’hui dans une situation diplomatique très délicate. Kigali a même rompu ses relations avec Paris en novembre 2006. En ce qui concerne le génocide, le gouvernement français s’en tient aux conclusions de la commission Quilès (6 août 2008) et rejette les accusations portées par Kigali dans un rapport du 5 août contre des militaires et des responsables politiques français. Le président Nicolas Sarkozy a cependant tenté un rapprochement avec le Rwanda. On comprend en outre aisément que l’actuel ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, soit le mieux placé, côté français, pour renouer le dialogue. Toutefois, les poursuites menées par le juge Jean-Louis Bruguière contre l’entourage du président Kagame, et l’arrestation intervenue hier à Francfort de Rose Kabuye, une proche du chef de l’Etat rwandais, ne vont pas apaiser les relations entre les deux pays (1). L’ONU, l’Europe, les Etats-Unis, tentent pour leur part, et chacun à leur niveau, de résoudre la crise. Mais, vues les haines accumulées et la détermination affichée par les belligérants, la tâche de leurs émissaires se révèle difficile – tous ces facteurs font que le chemin de la paix sera sans doute encore très long.

arte_1© Actualités Arte du 9-11-2008 – reportage S. Rosengart – M. Cohen

Grâce à Katy Holt de l’association Save the Children, je voudrais évoquer une histoire dont l’horreur est malheureusement d’une grande banalité au Congo-Kinshasa.

C’est l’histoire d’une femme, Wimana, et de son enfant de un an. Voici les photos et le texte de Katy Holt, publiés sur le site de la BBC, et dont je traduis aujourd’hui la substance :

Wimana Ruhuwreru a été déplacée à sept reprises au cours des quinze derniers mois dans l’est de la République démocratique du Congo en raison des combats permanents qui opposent les hommes du général Laurent Nkunda et les troupes gouvernementales. Plus d’un million six cent mille personnes restent déplacées et la situation se détériore chaque jour alors que les combats se poursuivent.

Obligée de fuir un camp de réfugiés où Wimana avait trouvé refuge, Vendredi lorsque les combats ont débuté, elle est partie pour Goma avec Emmanuel (sur la photo) et ses autres enfants afin d’assurer sa sécurité. Quand ils sont arrivés à Goma, ils n’y avait ni abri, ni nourriture, ni eau pour eux ; ils ont du dormir dehors et n’ont reçu que très peu d’aide.

kate_holt_1Wimana avait cinq enfants, jusqu’à ce que Emmanuel, le plus jeune, meure ce matin de malnutrition. Ici, Wimana et sa fille regarde son cercueil.

Plus tard dans la journée, le cercueil d’Emmanuel est transporté à Goma pour y être enterré.

Wimana et sa fille assistent aux funérailles. Ils regardent pendant que la tombe est creusée et que le petit cercueil est mis en terre.

kate_holt_6Wimana pleure alors qu’Emmanuel est abandonné à son dernier repos.kate_holt_3

Une croix simple faite d’une feuille de bananier et d’un bout de bois marque l’emplacement de sa tombe.

Texte original en anglais et photos de Kate Holt de Save the Children – site BBC News. Traduction Laurent Dingli

Pour agir : vous pouvez faire un don à l’association Save The Children. Présentes aussi sur le terrain, la très remarquable association Heal Africa, ou encore Médecins sans frontières (MSF). Quant aux derniers gorilles des montagnes qui vivent malheureusement dans la zone des combats, se référer à Wildlifedirect.

Sur le rôle de l’Angola et les craintes d’extension régionale du conflit voir l’article du Monde daté du 9 novembre Les combats gagnent un nouveau front en RDC, celui du Point du 10 novembre, Nkunda combattra une force régionale si elle soutient la RDC.

Sur le coltan, voir la vidéo de Daily Motion. En ce qui concerne les difficultés diplomatiques, se reporter à l’article de RFI.

Voir aussi “Congo, au coeur des ténèbres”, l’article que j’ai consacré à l’association Heal Africa qui soigne à Goma les femmes violées et mutilées par les différents belligérants.

(1) Paul Kagame et neuf de ses proches sont jugés responsables de l’attentat perpétré en 1994 contre l’ancien président Habyarimana, attentat qui avait déclenché le génocide. Voir l’article du Monde du 10-11-2008.

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser Laurent Dingli, “Le Congo ou la banalité de l’horreur”, Le site de Laurent Dingli, novembre 2008.

Lundi 10 novembre 2008. Dernière mise à jour : 11 novembre 2008.

Congo, au coeur des ténèbres

asifiwe_fullSi j’ai choisi aujourd’hui ce titre d’une oeuvre célèbre de Joseph Conrad pour illustrer un billet sur la République démocratique du Congo (R.D.C.), c’est que j’ai parfois l’impression, à tort ou à raison, que rien n’a profondément changé dans cette terre de cocagne. Une illusion sans doute, mais que de similitudes avec l’époque du roi des Belges, Léopold II, dont la cruauté fut jadis dénoncée par Edmund Morel ou Roger Casement – et que de rappels sanglants pour un pays qui n’en finit pas de souffrir. Je lis les témoignages de ceux qui vivent sur place et agissent sur le terrain, en l’occurrence les médecins de l’association Heal Africa. Chaque jour, ces derniers s’efforcent d’atténuer les conséquences d’une barbarie ordinaire dont les femmes sont souvent les premières victimes. Je retrouve alors cette grande division binaire du monde, l’éternel clivage entre ceux qui détruisent et ceux qui réparent – ou plutôt, devrais-je dire, ceux qui tentent de le faire, car cette activité rend humble et le rapport ne sera jamais égal entre le bien et le mal. On écoute ces récits de vie, ces bribes de cauchemars racontées avec beaucoup de pudeur, entre deux opérations, par des chirurgiens américains confrontés à l’horreur quotidienne. On mesure tout ce que cette souffrance peut avoir d’irréparable ; on devine la prégnance du traumatisme qui se fixe comme un poison dans le sang des victimes. Mais on se surprend aussi à espérer, même au coeur des ténèbres.

« Les chirurgiens du Wisconsin viennent juste de ramasser leurs affaires pour rentrer chez eux après une longue journée, rapporte ainsi Lyn Lusi dont je traduis les propos. La bonne nouvelle, c’est qu’ils ont réparé le visage de Jeanne. Cela faisait huit mois qu’elle attendait une chirurgie réparatrice et le jour était enfin venu.

“Jeanne m’a dit qu’elle pouvait témoigner du jour et de l’heure, 5 heures de l’après-midi, un dimanche de septembre 2005, quand la 105ème Brigade des Interahamwe s’est battue dans son village. Elle portait sa petite fille de 18 mois dans les bras. Ses voisins ont fui, mais les tirs étaient trop nourris pour qu’elle puisse suivre leur exemple. Elle s’est donc cachée. Cinq hommes l’ont violée. Quand ils ont quitté la hutte, elle s’est dissimulée sous le lit avec sa petite fille. Ils sont revenus avec d’autres soldats. Comme ils ne l’ont pas trouvée, ils ont mis le feu. Elle a essayé de fuir au dernier moment, mais la hutte en flammes s’est effondrée sur elle, tuant son bébé et la brûlant très gravement à la tête, au visage et aux bras. Réparer le visage de Jeanne, c’était régler l’un des problèmes. Mais comment cette femme va-t-elle pouvoir reconstruire sa vie ? (…)

« Seuls un petit nombre de survivants parviennent jusqu’à notre hôpital. Et, dans les bons jours, quelques-uns nous quittent guéris, alors que, sans notre intervention, ils seraient morts. C’est le cas de cette femme de soixante ans, Odile. Elle est rentrée chez elle, il y a quelques jours en se tenant gaillardement sur ses béquilles. Après l’avoir violée, les soldats lui ont tiré dans le genou. Il n’a pas été possible de sauver sa jambe. Elle a maintenant une prothèse ; elle est donc rentrée chez elle avec quelques produits à vendre afin de pouvoir gagner sa vie toute seule. Son courage et sa dignité étaient vraiment magnifiques. C’était une bonne journée (…) ».

Lyn nous relate encore bien des récits de souffrance, notamment l’histoire d’André, un enfant de dix ans dont la belle-mère a brûlé volontairement la main dans l’eau bouillante parce qu’elle l’accusait d’avoir volé 100 Francs (20 cents). C’est une des conséquences de la misère suggère Lyn. A Goma, rappelle-t-elle à ce propos, 45 foyers sur cent vivent avec moins de 50 dollars par mois. « C’est cela le scandale du Congo : un pays si riche qui attirent les prédateurs de toutes les nations du monde mais dont la majeure partie de la population vit dans une accablante pauvreté ». Pour ma part, j’aurais aussi évoqué l’irresponsabilité chronique de certaines élites africaines… Un autre exemple permet de rappeler à quel point les besoins des ONG sont énormes. Ainsi pour soigner une fistule vaginale, contractée par une femme lors d’un viol collectif ou dans le cadre de son travail, des ciseaux spéciaux sont indispensables. L’hôpital n’en possède qu’une seule paire, souvent utilisée par un médecin en tournée. Les malades et les blessées doivent donc attendre.. et souffrir. Une seule paire de ciseaux coûte 500 dollars – soit l’équivalent de dix mois de budget pour une famille entière de Goma. On comprend dans ces conditions la valeur d’un tel instrument et pourquoi certains sont dérobés avant même de parvenir à l’hôpital…

Les membres de Heal Africa ne se penchent pas seulement sur les souffrances du corps, ils traitent aussi les traumatismes psychiques. Un soixantaine de femmes désignées par leur communautés s’apprêtent ainsi à travailler avec l’association pour identifier et aider les femmes violées du Nord Kivu. « Ces courageuses conseillères font preuve de passion et de compassion. Elles marchent pendant des jours pour atteindre les femmes traumatisées dans le sillage des combats ».

Un peu de baume sur une plaie béante.

Judy Anderson de Heal Africa me rappelle aujourd’hui que Bernard Kouchner s’était rendu à Goma où il avait soutenu le programme de chirurgie orthopédique pour les enfants. Par ailleurs, précise Judy, le Dr Lusi vient d’être invité à Paris par le ministre des Affaires étrangères dans le cadre de la journée de la femme, le 7 mars prochain.

Liens : Lyn Lusi, A Good Day in Goma, Heal Africa.

Lundi 25 février 2008. Dernière mise à jour le 27/2/2008

La disparition des gorilles

gorille_one_voiceC’est un cri d’alarme et un appel à l’aide que je lance aujourd’hui avec beaucoup d’angoisse pour l’une des grandes richesses de notre terre qui en train de disparaître sous nos yeux : les gorilles. Nous ne pouvons pas permettre cette abomination. Notre richesse, ce ne sont pas nos propriétés et nos voitures, notre or et nos diamants, nos supermarchés et nos piscines, nos MP3 et nos grands écrans, notre richesse est là, cachée dans la forêt du Rwanda et du Congo, elle réside dans le regard si beau et si majestueux des derniers grands singes. Mes amis, les gorilles sont sur le point de disparaître à tout jamais de notre planète. Il ne reste plus que 700 gorilles des montagnes dans le monde. Il faut agir TOUT DE SUITE ! Car c’est notre part d’espoir et d’humanité qui s’en ira avec eux.

Voici un court extrait de l’article de Scott Johnson, paru dans Newsweek, et publié par Courrier international cette semaine : “Les hommes se pressent sous leurs ponchos verts, ils tiennent nerveusement leur AK-47 sur l’épaule. Les pluies de l’été ont détrempé les plaines et la forêt du parc national de Virunga, un vaste espace protégé situé le long de la frontière orientale de la République démocratique du Congo (RDC), dont on estime qu’il abrite 60% des derniers gorilles des montagnes subsistant dans le monde. Les hommes laissent leur cigarette s’éteindre sous la pluie. Puis, en file indienne, ils pénètrent dans la forêt.

Isaya.jpg 10“Soudain, dans le vacarme de la tempête, un cri retentit. Les gardes forestiers viennent de trouver le premier cadavre, à moins de 100 mètres de là. La femelle gorille repose sur le flanc, sa petite langue rose dépassant légèrement de ses babines. Elle était gravide et ses mamelles sont gorgées du lait destiné au bébé qu’elle portait. Les gardes font cercle autour de l’animal et caressent son poil roussi. Ils secouent la tête et claquent la langue en signe de désapprobation. L’un d’eux attrape la main d’un gorille et la tient un long moment, en baissant la tête, dans une attitude de deuil. Elle s’appelait Mburanumwe. Les gardes la connaissaient très bien, comme ils connaissent tous les gorilles vivant dans leur secteur. Après l’avoir abattue, ses meurtriers ont mis le feu à sa dépouille. A présent ses paupières sont fermées et elle semble absorbée dans une méditation profonde (…) A deux pas de là, ils découvrent les cadavres de deux autres femelles adultes, membre d’un même groupe de douze individus. Deux jeunes gorilles sont désormais orphelins. Le lendemain, c’est un mal qui est retrouvé mort. Ce massacre, découvert le 23 juillet dernier, est peut-être le plus grave perpétré à l’encontre des gorilles des montagnes depuis vingt-cinq ans.

mwaka-portrait-tn 25“Même les gardes forestiers sont en état de choc – et pourtant ils vivent dans un pays où plus de 4 millions de personnes ont été tuées dans les luttes fratricides ces dix dernières années (…) Des extrémistes utus, repliés dans le parc après avoir massacré des Tutsis au Rwanda en 1994, se sont établis à sa lisière. Il y a trois ans quelque 8000 Rwandais ont traversé la frontière à la recherche de pâturages : en moins de trois semaines, ils ont détruit plus de 1200 hectares sur le territoire habité par les gorilles”(1)

Pauvre Congo, sortiras-tu un jour de cette nuit interminable, depuis les mains coupées de tes femmes et de tes adolescents par les administrateurs du roi des Belges, jusqu’à l’horreur de tes enfants exorcisés, lors de cérémonies criminelles, en passant par tes pygmées massacrés, tes forêts dévastées, exploitées, la richesse de ta faune, annihilée. C’est un sentiment de tristesse et de désespoir qui m’envahit aujourd’hui. Et le seul remède, le vrai remède, c’est l’action. Je vous en prie, donnez 50 euros, 30, même 10 ! Peut-être n’y arriverons-nous pas, mais quels hommes serions-nous si nous n’essayions pas.

Vous pouvez agir en envoyant des fonds à Wildlife Direct (Africa conservation fund). Donnez 50, 30, même 10 euros. Cette ONG, confondée en janvier par Richard Leakey, et financée par l’Union européenne, garantit aux donateurs que l’intégralité de leur contribution sera directement versée aux gardes forestiers. Vous pouvez aussi soutenir les associations qui se consacrent à la protection des singes, comme celle de Jane Goodall, Help-Primates, de Dian Fossey ou Kalaweit (protection des gibbons et siamangs d’Indonésie). La situation humanitaire en RDC est catastrophique. Le viol, notamment, est depuis longtemps une arme de guerre. Voir sur cette question le site d’Afriquerenouveau. Vous pouvez aidez la population martyre en consultant le site de Heal Africa qui fait un travail exceptionnel pour tenter d’apaiser les souffrances inouïes de ces femmes.

Quelques hommes qui risquent leur vie : Isaya gagne 10 dollars par mois, Kavusa, 35, et Mwaka, 25 dollars par mois © One Voice pour le Gorille et Wildlife Direct pour les Rangers.

(1) Courrier international n° 880 du 13 au 19 septembre 2007.

16 septembre 2007

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser : Laurent Dingli, “La disparition des gorilles”, Le site de Laurent Dingli, septembre 2007.