Entretien filmé avec Alcide Alizard, 15 mars 2012

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Une photo particulièrement émouvante : Le petit Alcide entre sa mère, Suzanne Hutin, et son père, Léonce, tué au combat, le 30 août 1918 © Famille Alizard – Droits réservés

Alcide Alizard a fêté il y a quelques semaines son centième anniversaire ; ce n’est pas sans émotion que, le 12 mars dernier, nous avons franchi le seuil de la maison de retraite où il a eu la patience et la gentillesse de nous recevoir en compagnie de son épouse et de son fils, Michel.


Histoire Renault – Entretien avec Alcide Alizard 1 par Boulogne-Billancourt

Alcide Alizard est né le 16 janvier 1912 à Villers-lès-Guise, dans l’Aisne. En 1914, sa famille fut évacuée dans le département de l’Yonne où elle demeura jusqu’en 1919. A son retour, Mme Alizard et son fils retrouvèrent un logis à moitié démoli et, surtout, Léonce, le père d’Alcide, était mort au combat, deux mois et demi seulement avant l’Armistice.

Léonce Alizard avait obtenu une permission environ six mois avant sa mort et c’est donc à l’âge de six ans qu’Alcide vit pour la dernière fois son père. C’est l’horrible banalité d’une guerre qui fit des millions de veuves et d’orphelins. Suzanne Alizard tient désormais seule la boulangerie et son foyer. Heureusement, l’enfant, qui effectue une brillante scolarité, est remarqué par son instituteur. Il part faire ses classes à l’école préparatoire Savard, à Saint-Michel-sous-Gland, près d’Hirson, puis entre à l’Ecole d’Arts et Métiers d’Erquelinnes, dans le Hainaut, fondée par les Frères des écoles chrétiennes.

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Alcide Alizard âgé de 16 ans, en 1928, à l’école préparatoire Savard de Saint-Michel-sous-Gland, près d’Hirson © Famille Alizard – tous droits réservés.

A son retour, le jeune Gadzarts est remarqué par le concessionnaire Renault de Guise qui entretient un contact avec un “compatriote” de l’Aisne au sein de l’usine. Appuyé sur la sélection de l’école primaire, les succursales de province ont souvent constitué un vivier de recrutement pour l’entreprise, ainsi que le cas de Robert Desmond, jeune périgourdin embauché comme apprenti à l’âge de 12 ans, nous en a donné récemment l’exemple. Alcide Alizard entre donc à Billancourt en 1933 : il a 21 ans. Comme tout futur chef d’atelier, il doit commencer par le travail à la chaîne qu’il effectue pendant plusieurs mois, notamment dans l’usine flambant neuve de l’Ile Seguin. Il débute sur la chaîne de montage des essieux avant, puis sur celle des voitures. Il existait trois étages sur l’Ile Seguin, rappelle Alcide Alizard, le troisième consacré à la peinture des véhicules, le second, dans lequel il est lui-même employé, à l’équipement des voitures et, enfin, le premier étage à la mécanique. “Il fallait tenir la cadence, au début, ce n’était pas commode, puis après, une fois qu’on est habitué, ça va…“. On lui confie ensuite une équipe d’une quinzaine d’ouvriers (et surtout d’ouvrières) pour l’équipement des tableaux de bord et des parties arrières, travail qu’il effectue jusqu’aux environs de 1936. Il acquiert un niveau de vie correct, vit à l’hôtel, ne fréquente pas la cantine et possède même une automobile (Renault, bien sûr), ce qui constitue un luxe à l’époque. Louis Renault reste pour lui “un patron lointain” – ce qui n’est pas étonnant, l’industriel se rendant essentiellement dans les ateliers de mécanique.

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A l’école d’Arts et Métiers d’Erquelinnes, dans le Hainaut : Alcide Alizard est le premier à gauche sur la photo © Famille Alizard – Tous droits réservés

Entre temps, il accomplit sa période militaire au 503ème RCC (Régiment de chars de combat) sur des chars… Renault !

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Le 503ème RCC – On remarquera les chars Renault FT-17 de la Grande Guerre © Famille Alizard – Tous droits réservés
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Pendant sa période militaire au 503ème RCC en 1935. Alcide est le deuxième en partant de la droite © Famille Alizard – Tous droits réservés
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Le 2ème peleton – 1ère section du 503ème RCC – Alcide, debout, le quatrième en partant de la droite © Famille Alizard – Tous droits réservés

En 1936, Alcide Alizard suit le mouvement du Front populaire chez Renault, mais sans expérience ni réelle conviction : “Je suivais la troupe” explique-t-il. On le voit ainsi participer aux grands défilés, mais non pas à l’occupation de l’usine. Cette année-là il profite, pour la première fois, comme les autres salariés, des congés payés.

A Saint-Malo, à l'époque des premiers congés payés : Alcide Alizard est à droite sur la photo © Famille Alizard - Tous droits réservés
A Saint-Malo, à l’époque des premiers congés payés : Alcide Alizard est à droite sur la photo © Famille Alizard – Tous droits réservés

Il a plus de souvenirs du lock-out qui a suivi la grève violente de novembre 1938. La direction lui a demandé, comme aux autres chefs d’ateliers, de réembaucher les 25 personnes dont il était alors responsable.

Mais la guerre approche. Jeune marié (décembre 1938), Alcide Alizard est mobilisé en mai 1939 au 510ème RCC. Il y conduit un char Renault B1, qui constitue alors l’un des meilleurs matériels blindés français. Il participe peu aux combats de la bataille de France car son char est immobilisé après avoir reçu un obus allemand à quelques kilomètres de Sedan, le 16 mai. Il parvient toutefois à le réparer et à se replier, ce qui lui vaudra une citation. Il livre un très bref combat avec l’infanterie, puis parvient à Auxerre en même temps que les Allemands. Mais il  leur échappe, cache son char dans un champ de blé, trouve refuge chez un particulier, puis, habillé de vêtements civils, rejoint la capitale [1].C’est un véritable périple, car Alcide, qui ignore où se trouve sa femme, rejoint Boulogne-Billancourt en vélo, en se cachant des les fossés à chaque passage des Allemands. La mairie de Boulogne-Billncourt lui obtient des papiers et il peut reprendre son emploi chez Renault après la réouverture de l’usine.

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Au 510ème RCC – Alcide, en casquette, appuyé sur le char © Famille Alizard – Tous droits réservés
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“Ma torpédo” Les Vertus (Champagne) 1940 © Famille Alizard – Tous droits réservés

Pendant l’Occupation, Alcide Alizard est employé à l’usine O, près de la porte de Saint-Cloud, sous les ordres de Daguet. Là, on débite du bois pour équiper les camions allemands en planchers et ridelles. Puis au moment des grandes pénuries, vers la fin de la guerre, l’atelier confectionne des semelles de bois. En plus d’un surveillant français, une sentinelle allemande était postée à l’entrée de l’usine O. Cette sentinelle faisait de régulières inspections au sein des ateliers. D’après Alcide Alizard, les ouvriers travaillaient “normalement”, car il fallait bien respecter la cadence, explique-t-il, pour éviter la répression.


Histoire Renault – Entretien Alcide Alizard 2 par Boulogne-Billancourt

Sa femme et lui habitaient boulevard Jean-Jaurès, près de la Seine. C’est là qu’ils vécurent les premiers bombardement sur les usines Renault et Boulogne-Billancourt. Pas moins de sept personnes trouvèrent la mort dans le hall de leur immeuble. A partir de ce moment, ils partirent se réfugier chez des cousins à Paris, puis au Vésinet (mars 1943), tout en continuant à travailler chez Renault. Son atelier ne fut pas décentralisé pendant l’Occupation. C’est près de la Porte de Saint-Cloud, en août 1944, qu’Alcide Alizard vit arriver les premiers soldats français.

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[1]. Alcide Alizard faisait partie du 41ème B.C.C, comme l’indique ses papiers militaires. Sur l’ordre de marche de ce bataillon (commandant Malaguti), qui était aussi doté de chars Hotchkiss, voir le site chars-francais.net.

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser : “Entretien entre Alcide Alizard et Laurent Dingli, 15 mars 2012”, louisrenault.com, mars 2012.

Dernière mise à jour : 19 mars 2012