Dernières nouvelles d’Alsace, le 1er janvier 2005, par Serge Hartmann

Vertige sanglant de la vertu: Laurent Dingli consacre à Robespierre une biographie peu complaisante et particulièrement documentée

L’épisode est célèbre. En l’an de grâce 1775, tout juste couronné à Reims, Louis XVI s’en retourne dans sa bonne capitale et reçoit une multitude d’hommages de ses loyaux sujets. Sous une pluie battante, son carrosse s’arrête devant le collège Louis le Grand qui bénéficie de la bienveillante attention des rois de France. Pour lui déclamer, en latin, les voeux de la prestigieuse école, un enfant particulièrement talentueux est choisi. Il s’appelle Maximilien de Robespierre. Ils se retrouveront, moins de vingt ans plus tard, pour un mortel face à face.

Crainte paranoïaque

C’est le portrait psychologique d’un homme marqué depuis l’enfance par une profonde solitude (il perd sa mère à six ans, son père l’abandonne peu après.) et par une crainte paranoïaque de la persécution mêlée à une monomanie rigide de la vertu que livre Laurent Dingli.

Il est vrai que la Révolution, dans la foulée de la Grande Peur, s’est révélée propice aux délires de complots, à la circulation de fausses nouvelles, à « une Saint-Bathélemy des patriotes » que Robespierre relaye tant à la tribune de la Convention qu’à celle des Jacobins.

S’il s’agit certes aussi pour lui d opération tactique lui permettant d’éliminer les indésirables et les opposants (les monarchistes, les Girondins, les Hébertistes, les Indulgents.), cette phobie du complot correspond aussi clairement à son mode de fonctionnement mental.

C’est en elle qu’il puise la force nécessaire pour maintenir son emprise sur le cours de la révolution. C’est aussi par elle que peuvent se comprendre les effroyables tueries (massacres de Septembre, colonnes infernales de Vendée, canonnades des Brotteaux à Lyon, noyades de Nantes.) dont Robespierre ne s’émeut nullement, soit qu’il les couvre, soit qu’il exige encore davantage de rigueur de la part des envoyés de la Convention.

Bas de soie et perruque poudrée

Il y a aussi en lui, dans la droite ligne d’un Jean-Jacques Rousseau, une philosophie de la vertu et de la pauvreté rédemptrice. « Celui qui n’est pas pour le peuple est contre le peuple, celui qui a des culottes dorées est l’ennemi de tous les sans-culottes », déclarait-il. Ce qui ne l’empêchait pas de porter des bas de soie et une perruque maniaquement poudrée.

Epluchant textes et discours de l’Incorruptible, Laurent Dingli met aussi en lumière le paradoxe d’un propos politique qui légitime les insurrections, y compris dans leur excès, parce qu’il est juste que le peuple se révolte, mais fait réprimer dans le sang toute manifestation de protestation, une fois arrivé au pouvoir. Là aussi, le prétexte du complot est agité. Et des émeutes de subsistance deviennent des provocations « de domestiques d’aristocrates cachés sous la livrée de respectables sans-culottes ».

Mais à nier le réel, celui-ci vous revient à la figure comme un boomerang. Et c’est dans un panier qu ela tête de Robespierre tombe à son tour.

Serge Hartmann