Le feuilleton littéraire de Benoît Maubrun
Colbert marquis de Seignelay
Digne fils de son père, premier ministre de Louis XIV, le marquis de Seignelay reçut une éducation qui le rendit apte à recevoir une fonction ministérielle à la marine. Un destin peu connu qui mérite bien des égards.
Il est toujours agréable, pour qui aime notre pays, de découvrir des pans de notre histoire, restés jusqu’ici dans l’ombre. Si le temps gomme le souvenir et la claire appréhension des faits qui disparaissent, il donne aussi à l’historien l’occasion d’effectuer ses recherches. Nous connaissions Colbert, premier ministre de Louis XIV. Grâce au travail de Laurent Dingli, nous pouvons maintenant découvrir la vie et l’œuvre de son fils, le marquis de Seignelay.
A dire vrai, évoquer la figure de Jean-Baptiste Colbert, c’est aussi évoquer celle de son père. Ministre dévoué à son roi comme à sa tâche, Colbert veilla personnellement à l’éducation de son fils aîné. L’ancienne France reposait pour beaucoup sur l’héritage. Arrivé au poste suprême, mis à part le roi (mais s’agit-il d’un poste ou d’un quasi-sacerdoce ?), Colbert tient à léguer à son aîné la charge qui est la sienne. Faut-il s’en choquer ? Un patrimoine acquis à force de sacrifices, de travail et d’abnégation ne se divise pas. La France d’Ancien Régime, contrairement à la législation imposée par le Code Napoléon, le savait. Et, soucieuse de ce qui dure, n’envisageait pas la succession morcelée. Colbert non plus. Mais il voit plus loin. Les destinées de la France ne peuvent se jouer au gré de choix contraires. Du sang nouveau, oui. Mais pour une même politique ! D’où cette attention, sourcilleuse, presque scrupuleuse d’un père pour l’éducation de son fils. De celui-ci, Voltaire a pu écrire : « son génie était encore plus vaste que celui de son père ». On retiendra l’hommage pour son origine. Il reflète bien la réalité, Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, est un enfant surdoué. A en croire son premier biographe, il en rendit même jaloux Louis XIV, lequel était loin d’être médiocre. Ajoutons que son éducation reçut la marque de la Compagnie de Jésus. Du coup, l’intelligence n’est pas seule a être l’objet de l’attention des éducateurs. La volonté l’est peut-être tout autant. L’homme de ce siècle, l’honnête homme, est imprégné de cette éducation. Et le jeune Colbert est un homme de son temps.
Colbert, le père, accentue pour sa part, cet aspect. Il se méfie – déjà ! – d’une éducation trop livresque. Il poursuit son but. Il envoie donc son fils en voyage. Aujourd’hui, nous dirions en stage. C’est, en effet, l’occasion d’exercer les premières responsabilités et de se confronter au réel. Pour Seignelay, la tâche est à la hauteur de ses capacités. Et de ses espoirs. Il ne s’agit pas moins que de réformer la marine française, alors dans un état assez médiocre. Une carrière commence. Il a vingt ans quand il s’y attelle. A trente deux ans, il est secrétaire d’Etat à la marine. Ce poste, il le doit bien sûr, à son nom, à la volonté de son père qui l’a éduqué et poussé dans cette voie. Il le doit aussi à son génie propre. Un génie précoce ! Quelques mois avant sa mort, la marine française remportera une victoire historique sur une flotte anglais et hollandaise, certainement l’armada la plus puissante de cette époque. Ce succès n’est pas dû au hasard. Il porte un nom, Colbert, marquis de Seignelay.
La lecture du livre de Laurent Dingli, par l’ensemble des faits exposés, par les détails présentés, démontre largement la part importante apportée par ce ministre peu connu de Louis XIV. Le professeur Jean Meyer, qui préface l’ouvrage, a toutefois raison de souligner que « demeure la faiblesse fondamentale de la marine française d’Ancien Régime. Nul doute que Seignelay n’en ait accentué (abusivement ?) le côté aristocratique, disons plus exactement nobiliaire, alors que Colbert a eu plus largement recours aux vrais gens de mer, en partie issus de l’expérience commerciale… et corsaire ». Seignelay préfigure-t-il l’incapacité de cette génération d’Ancien Régime à renouveler ses élites ? Incapacité qui conduira à la Révolution. On réécrit difficilement l’histoire. Le marquis de Seignelay est mort trop tôt, à l’âge de trente-neuf ans, éreinté par le travail. Certainement un cancer, d’après les descriptions des médecins de l’époque. Il renaît aujourd’hui par le talent de son biographe. Ce n’est que justice.
Laurent Dingli, Colbert, marquis de Seignelay – le fils flamboyant, Perrin, 394 p.