Le Point, “Laurent Dingli: Robespierre et la gauche”, propos recueillis par François-Guillaume Lorrain, 3 septembre 2015

Le Point : Sans Robespierre, la Révolution aurait-elle tout de même basculé dans la Terreur ?

Laurent Dingli*: On peut en douter. Il en est le théoricien et celui qui la déclenche, même s’il n’est pas le seul et que la décision est prise collectivement, avec le Comité de Salut public et le soutien d’une grande partie de la Convention. Mais Robespierre a joué un rôle moteur, toute forme d’accommodement passant à ses yeux pour une trahison. Deux exemples: l’exécution pure et simple des prisonniers de guerre ennemis réclamée à l’Assemblée et les guerres de Vendée. Il porte en lui un ferment totalitaire.

Robespierre a-t-il été un cadavre encombrant pour la France ?

Après un rejet total sous la Révolution par les Thermidoriens, on a essayé d’abord de s’en détourner: Victor Hugo, qui vante la Révolution, conseille de ne pas s’en occuper, car cet épouvantail fait le jeu des anti-révolutionnaires. Mais les débuts de la IIIème République voient l’organisation du mouvement socialiste et l’essor de l’idée nationale. Robespierre, qui a su jeter les bases d’un culte républicain patriote, devient une figure tutélaire, réhabilitée en particulier par Jaurès. Après la scission entre socialistes et communistes, le fossé entre le courant réformiste et la tentation totalitaire de la gauche se creuse. Dans les années 30, l’organe interne de la CGT aux usines Renault a pour titre L’Incorruptible. Après la guerre, on peut voir dans l’affrontement Sartre-Camus une résurgence de sa figure, car Camus, en déclarant qu’il n’irait pas tuer son frère pour une idée, s’affirme comme l’anti-Robespierre. François Furet, qui distingue plusieurs blocs dans la Révolution, enfonce le clou en analysant le glissement totalitaire de Robespierre, qui anticipe le communisme.

Il devient donc un marqueur fort au sein de la gauche…

Il est absent des commémorations socialistes du bicentenaire de la Révolution. Lorsque, sur le territoire parisien, le PC ou le Front de gauche, qui l’ont “panthéonisé” dans leurs communes, veulent donner son nom à une place ou à une rue, le PS vote contre. Même si je soupçonne certains socialistes de garder une admiration secrète et ambiguë pour cette figure.

Propos recueillis par François-Guillaume Lorrain.

* Historien, auteur d’une biographie de Robespierre (Flammarion).