L’Union, par Bruno Testa, le 20 février 2011

La Révolution, l’Amour, le Diable.

ROMAN MALIN

Vous voulez savoir ce qu’a réellement été la Révolution française, en chair et en os ? Vous voulez néanmoins vous distraire, être emporté comme dans un film d’aventure ?

Lisez « Dans l’ombre des Lumières » de Laurent Dingli.

Alors que l’on assiste en direct aux révolutions de Tunisie et d’Egypte, cela fait drôle de replonger soudain deux siècles en arrière en pleine Révolution française, qui reste la mère de toutes les révolutions. L’occasion nous est donnée grâce à Laurent Dingli qui publie chez Flammarion, non pas un ouvrage d’histoire mais un roman sur cette période essentielle de notre modernité. Si je précise un roman, c’est que Laurent Dingli est également historien. Qu’on lui doit des biographies sur Colbert, Louis Renault et surtout, pour le sujet qui nous concerne, Robespierre. Gros travail d’érudition qui lui a permis d’accumuler un savoir bien utile pour planter le décor très fouillé de son roman intitulé Dans l’ombre des Lumières

LE MOTEUR DE L’AMOUR

Le titre tout d’abord. Il est coutume de dire que la Révolution française est la fille des Lumières. Que sans le travail de sape des Encyclopédistes qui ont pour nom d’Alembert, Diderot, Voltaire, jamais la monarchie héréditaire n’aurait découvert ses pieds d’argile. Or, ces Lumières ont leur part d’ombre. La Révolution, dont le projet est la justice et la liberté, n’a pas moins généré son lot de servitudes et d’injustice. On se souvient de la Terreur, des révoltes des Chouans en Vendée et de la répression qui a suivi, répression assimilée parfois à un génocide.

Laurent Dingli, qui concède « avoir une vision noire de l’homme », a fait un pari audacieux. Donner les deux points de vue sur la Révolution en cours, celui des républicains et celui des royalistes, ce qui aurait été difficilement faisable dans un livre d’histoire.

Pour ce faire, le romancier a choisi de camper un héros venu de Toulouse, Antoine Loisel qui, a deux consonnes près, pourrait se confondre avec le héros romantique Antoine Doinel de François Truffaut. Le jeune Antoine est le fils d’une riche famille de commerçants installée à Toulouse. La géographie a son importance. De ses origines protestantes, le jeune Antoine a gardé une méfiance certaine envers le pouvoir central et la religion dominante (c’est un peu la même chose), et une admiration sans borne pour Henri IV, le roi de la tolérance religieuse. Aspirant peintre qui a fait un petit tour à Rome, le jeune Antoine est ouvert au monde qui vient. Quoi de plus naturel, quand on est artiste, de rejeter les vieilles barbes de l’académisme ? Plutôt que des sujets mythologiques, Antoine Loisel rêve de peindre les gens du peuple comme ont pu le faire avant lui les peintres flamands. Quoi de plus naturel donc que de prendre fait et cause pour ces petites gens qui prendront la Bastille ? Il y a de la générosité dans la vision du jeune homme, il y a forcément de la naïveté.

Auteur d’une biographie sur Robespierre qui lui a pris cinq ans, Laurent Dingli connaît fort bien la Révolution française.

Sur cette toile de fond historique, précise (l’auteur a été jusqu’à consulter le dictionnaire d’argot du petit peuple de Paris au XVIIIème pour faire parler ces gens) Laurent Dingli brosse son motif romanesque. Et quoi de plus romanesque que l’amour ? Concession aux codes du genre, Antoine Loisel tombe follement amoureux d’une belle aristocrate, Amélie de Morlanges, dont la famille pauvre vit dans la région du Poitou. Ce roman d’amour, avec ses rebondissements dignes d’un film de cape et d’épée, est un roman à elle seule. Beaucoup de romanciers s’en seraient contenté. Pas Laurent Dingli qui tel le démiurge n’a de cesse de pousser son héros dans les vents mauvais de l’histoire.

L’OMBRE DU DIABLE

Républicain enthousiaste et intransigeant, qui doute cependant du bien-fondé de l’exécution du roi, Antoine Loisel finira aux côtés des Chouans, révolté par les tueries innombrables des Républicains. A ce propos, l’auteur n’a pas eu à faire preuve de beaucoup d’imagination pour nous restituer l’horreur des massacres. Il lui a suffi de se reporter aux archives. Où l’on s’aperçoit que l’époque moderne n’a rien inventé en la matière, et que les massacres au Rwanda sont cousins de ce qui se passa jadis en Vendée. Antoine Loisel joue donc à merveille son rôle : il nous permet de passer de l’autre côté du miroir, de voir comment les idées abstraites s’incarnent, deviennent chair, puis chair à canons et à baïonnettes.
Reste le fond du roman. Le jeune peintre, jouet plus souvent qu’acteur, est-il vraiment le héros ?
En fait, le personnage central, même s’il n’apparaît pas toujours, le point aveugle du système donc, c’est le comte de Saint-Amant, alias Gaspard de Virlojeux, le mentor d’Antoine Loisel. On l’a croisé dès le début du roman dans la diligence qui amenait le jeune Antoine à Paris. On le retrouve ensuite dans les cercles de l’aristocratie, puis de la Révolution. C’est lui qui chaperonne Antoine dans le monde, lui encore qui l’appuie dans sa quête amoureuse. Tout au long du livre, il semble soutenir notre héros à bout de bras. Seulement, comme on le découvrira en fin de roman, il soutient son protégé comme la corde soutient le pendu. Gaspard de Virlojeux c’est l’incarnation de l’esprit mauvais. Le Mal fait homme. Ceux qui ont vu l’Associé du Diable avec Keanu Reeves et Al Pacino se feront une idée du personnage.
Avec toute cette matière, Laurent Dingli construit un roman érudit, ample (grâce à la multiplication des points de vue), exigeant enfin car on ne peut pas ne pas se poser des questions sur l’homme qui fait l’Histoire. Le plus pervers au fond dans ce roman sur le Mal, c’est qu’il se lit avec délice. Laurent Dingli serait-il diabolique ?

Bruno Testa