Critiques Libres, 11 octobre 2010, par Fargo

Une somme de premier ordre et d’un passionnant intérêt

On a beaucoup écrit sur Robespierre, à charge et à décharge, entre l’effroi et l’admiration. Laurent Dingli, il le dit dans son prologue, a été fasciné par le personnage. Son interrogation l’a conduit à une étude profonde et détaillée qui suscite l’admiration. Il explique ainsi son propos: “A tort ou à raison, Robespierre est considéré comme le principal symbole de la Révolution et surtout de la Terreur. C’est-à-dire qu’il est en même temps associé à l’une des pages les plus brillantes et à l’une des plus noires de l’histoire nationale. Ce contraste apparent n’est-il pas au coeur de l’énigme ? Et comment expliquer la rencontre entre la France et Robespierre? Pourquoi cette union débouche-t-elle sur des noces de sang ?”

Dingli a probablement tout lu sur le sujet, sa bibliographie et ses 1265 notes en font foi. Constamment, il semble avoir été taraudé par les questions précédentes et la recherche passionnée des réponses correspondantes.

Rien ne lui échappe, de la formation à Arras, des débuts de petit avocat de province, de son entrée progressive en politique, de ses ressorts psychologiques, des hommes et des évènements qui entourent son parcours. Ce curieux mélange d’idéologie froide, de souci théorique pour les plus démunis et d’intransigeance morale a de quoi fasciner. Cela donne 500 belles pages d’une écriture d’un style impeccable, parfaitement claire et compréhensible. Elles débouchent sur la conclusion qui résume le livre: “Si Robespierre s’est servi du peuple français pour nourrir ses inquiétudes personnelles, le peuple français s’est servi de Robespierre en croyant calmer sa peur panique née de la disparition du père symbolique. Or le médecin appelé au chevet de la nation était en même temps son assassin.”

J’ai lu ici ou là des opinions défavorables à ce livre, jugé trop critique à l’égard du personnage. Il s’agit bien ici d’un point de vue étayé et argumenté. D’autres points de vue sont sans doute possibles, probablement liés à une lecture différente des mêmes sources ou à la prise en compte de sources différentes ou à des opinions politiques préalables.

Pour moi, qui n’ai aucun engagement politique, au-delà de la personne et de ce qu’elle a engendré, ce livre aide à comprendre bien des ressorts des régimes communistes (Staline, Mao, Castro et autres), voire à décrypter certains langages politiques actuels.

P.S.: Je ne résiste pas à ajouter à cette critique une citation tirée du denier opus de Pierre Michon, les Onze: “Les frères, les tueurs associés de Capet le Père, les orphelins qui ne trouvaient plus le sommeil depuis la mort du père, s’entre-tuaient par la force accrue de la vitesse acquise, machinalement et comme machiniquement – et c’est pourquoi la grande machine à couteau sise place de la Révolution, la guillotine, est le si juste emblème de ce temps, dans nos rèves comme dans le vrai.”