Ces textes sont extraits de mes interventions sur le forum de L’Alliance pour la planète, site des associations écologistes engagées dans le Grenelle de l’environnement.
16 novembre 2007 :
Contrairement à vous je ne rejoins Luc Ferry sur presque rien de ce qu’il a écrit dans le Figaro. Cela fait des années déjà que le philosophe brode sur le même thème de l’écologie apocalyptique. Non seulement, il n’y a rien de très nouveau, mais son raisonnement est très pauvre. L’historien-chroniqueur Jacques Marseille avait réuni la même somme de pieuses sottises dans le Point, comme j’ai eu l’honneur de vous l’indiquer ici. Une évidence tout d’abord : l’écologie, comme toute les disciplines humaines, possède ses fanatiques. Plus encore que d’autres même, son approche favorise un délire de type millénariste et apocalyptique. Ces mouvements, de type paranoïaque, ont toujours trouvé un écho dans les sociétés humaines et il suffit de lire certaines références citées de ce forum pour s’en convaincre. Une fois ce constat établi – et répété à l’infini dans le cas de Luc Ferry (…) – l’analyse me paraît totalement erronée. Tout d’abord il est faux de dire, avec mépris, que les inquiétudes en matière écologique sont davantage le fait des “people” que des scientifiques. Luc Ferry devrait lire les dernières conclusions du GIEC, connu pour sa modération, et qui sont pourtant alarmistes. N’est-ce pas d’ailleurs démagogique et même assez simpliste de dénoncer comme le fait Luc Ferry “une logique médiatique, où les people, animateurs télé, vedettes de cinéma, de la chanson ou de la politique, relèguent les scientifiques et les économistes sérieux au fond du fond du panier”. J’ignore si les centaines de scientifiques de toutes les nationalités qui composent le GIEC sont de droite ou de gauche, ce dont je suis sûr en revanche, c’est que ce ne sont ni des “people”, ni des idéologues apeurés par l’Apocalypse. Au passage, la charge contre l’animateur télé (comprendre Nicolas Hulot), sans le citer nommément, n’est ni très juste ni très courageuse ; mais elle est assez dans la manière du “philosophe” Luc Ferry. Mépris aussi et ignorance pour la longue expérience et le travail des grandes associations internationales comme les Amis de la Terre, Greenpeace ou le WWF. J’ai moi-même critiqué le sectarisme de certains de leur représentants, mais, pour être juste il faut rendre hommage à l’énorme activité déployée sur le terrain par leurs militants depuis des décennies. Les membres de Greenpeace Brésil, qui risquent leur vie chaque jour, et dont le siège est un véritable blockhaus, ces militants qui se battent pour freiner la délirante destruction de la forêt primaire et la disparition des cultures de leurs habitants, ces militants méritent notre admiration. Et peut-être que, de l’endroit où ils sont, la réalité leur semble à juste titre plus apocalyptique que dans un salon parisien où dissertent doctement quelques philosophes. Je ne dis pas cela pour dévaluer le débat ; mais entendre Luc Ferry parler de démagogie fait un peu trop songer à l’histoire du pompier incendiaire. Quant à la « grande peur planétaire » que les militants déclinent en une multitude de rubriques », c’est, à bien des égards une caricature. Encore une fois, il existe en effet des fanatiques, et nous lisons ici même leurs obsessions tous les jours. Mais la peur – quand elle ne tourne pas au délire et à la panique – est souvent une sage conseillère. Elle a même toujours été pour les animaux comme pour les primates un peu développés que nous sommes, un gage de survie. Dans la même logique, l’angoisse – quand elle ne dévore pas l’individu – joue un rôle d’alarme et de défense essentiel, tant sur la plan psychique que physiologique. Ici, la peur est plus que fondée. Quand la biodiversité enregistre la pire érosion connue depuis des centaines de milliers d’années, quand nous accélérons les changements climatiques jusqu’à en faire même une véritable « dérégulation », quand se pose désormais des problèmes de ressources alimentaires de base, je crois qu’un sentiment de peur est non seulement légitime, mais qu’il est même salutaire. Les hommes qui nous ont alertés depuis longtemps sur cette catastrophe annoncée n’étaient et ne sont toujours pas des « people » ou des gauchistes fanatisés, mais des scientifiques et des intellectuels comme l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, l’astrophysicien Hubert Reeves, le biologiste Théodore Monod, la primatologue Jane Goodall. Luc Ferry se gausse allègrement du mythe de Frankenstein et de l’apprenti-sorcier dont les écologistes radicaux seraient obsédés. Sans doute, existe-t-il des persécutés de profession, mais ce « mythe » repose aussi sur une réalité. Quand l’homme fait manger des vaches à d’autres vaches, quand il leur fait un trou caoutchouté dans la panse pour malaxer leur estomac et augmenter encore les profits, quand il manipule des poissons et les modifie génétiquement, comme en Californie, pour les rendre fluorescents, quand il veut produire en série des chats hypoallergéniques ou crée des fermes pour exploiter industriellement les derniers tigres, il joue non seulement à l’apprenti sorcier, mais aussi et surtout au criminel expérimenté. Luc Ferry écrit encore : « Ce qui inquiète, pourtant, plus encore que les pollutions de l’air ou de l’eau – qui ne nous empêchent pas d’avoir quasiment doublé nos espérances de vie en un siècle ! – c’est celle de l’atmosphère intellectuelle et morale dans laquelle la réflexion semble aujourd’hui prendre place ». Pour ma part, c’est exactement l’inverse qui me préoccupe, c’est la qualité de l’air et de l’eau, car je n’accorde pas une importance si décisive à notre espérance de vie ni même au caractère prioritaire de l’atmosphère morale et intellectuelle des sociétés développées. Sans doute certains ne songent-ils, ici même, qu’à multiplier les interdits et à régler son compte au capitalisme, l’écologie leur offrant la revanche inespérée dont l’échec récent de leur utopie meurtrière les avaient frustrés. Mais s’en remettre, comme Luc Ferry et d’autres, à la liberté d’entreprendre en feignant de croire que nous pourrons faire l’économie de certaines interdictions – c’est-à-dire de sacrifices – est tout aussi démagogique et tout aussi irresponsable que le discours des extrémistes de gauche, qu’à juste titre d’ailleurs il condamne. Contrairement à Luc Ferry ou à Jacques Marseille, je crois que le Grenelle a une légitimité scientifique et républicaine. Contrairement à lui, je crois que nous devons avoir peur du moment que cette peur ne tourne à une panique désespérante et stérile. Contrairement à lui enfin, ma confiance dans l’homme n’est pas suffisante ni assez naïve pour croire que sa bonne volonté saura remédier à ce qui est justement le triste résultat de son aveuglement.
17 novembre 2007 :
Je voudrais par ailleurs revenir d’un mot sur le caractère incontournable de l’interdiction, lorsque celle-ci ne devient pas une fin en soi, une manière détournée de restreindre les libertés individuelles. J’ai souvent parlé ici de la disparition de ce qu’on appelle en jargonnant les “ressources halieutiques”, c’est-à-dire les différentes espèces de poisson. Non seulement les interdits, dans ce cas, sont indispensables, mais souvent ils ne suffisent même pas à enrayer le pillage des fonds marins. Prenons seulement l’exemple du thon rouge qui fait l’objet d’un vaste commerce spéculatif à destination, entre autres, du marché asiatique. Malgré les multiples alertes lancées depuis des années par les scientifiques et les grandes associations comme Greenpeace et le WWF, l’Union européenne a attendu le niveau d’alerte pour intervenir énergiquement et interdire (jusqu’en décembre) toute pêche du thon rouge. Or, même avec cette interdiction totale, le pillage se poursuit, sous la forme de l’exploitation illégale, des zones de non droit et du commerce des fermes méditerranéennes. La preuve a été faite que, pour détourner les quotas européens, des armateurs provençaux vont poursuivre leur activité sous pavillon de complaisance libyen. Voici du concret. Que préconise donc le philosophe et ancien ministre Luc Ferry pour arrêter ce désastre ? Ou bien il s’en remet au sens de la responsabilité de l’être humain – ce qui me paraît constituer une dangereuse naïveté – ou alors il considère la perte de biodiversité comme un élément mineur. Mais alors il faudra qu’il s’en explique un jour avec ses enfants.
20 novembre 2007 :
L’échec de ce forum illustre bien l’absence de culture du dialogue dans notre pays. Je parle d’un véritable dialogue, pas de crispations idéologiques, d’anathèmes, de monologues. Ce qui aurait pu devenir un medium d’échanges et de débats sur une question majeure, l’environnement, n’a débouché que sur une étroite discussion (…) entre quatre ou cinq personnes. La cause ? Le désintérêt des promoteurs du forum eux-mêmes – les membres de l’Alliance pour la planète – la confiscation de l’espace public par des internautes qui se contentent de déverser leur petite rage anti-gouvernementale, sans rien proposer de concret. Sans doute est-ce un peu caricatural, mais je vois trop souvent, encadrant une masse indifférente, des intellectuels méprisants qui taxent le Grenelle “d’arnaque” ou remettent en cause le principe de précaution (Attali, Ferry, Allègre, Marseille.), une extrême gauche fossilisée dans sa haine, une opposition démocratique sous perfusion et dont la mauvaise foi n’a d’équivalent que la lâcheté, un pouvoir qui refuse obstinément de s’interroger sur certaines options majeures comme le nucléaire. Mais au-delà de tout cela, il y a surtout un profonde incapacité à sortir de soi-même, inhérente sans doute à l’être humain. La société est pour beaucoup un agrégat de multiples petits électrons « libres » qui suivent leur courses, comme jadis des mules dont la tête était bardée d’oeillères. Les uns nous servent la sempiternelle lutte des oppresseurs et des opprimés, niant l’extrême complexité du monde et du psychisme humain. Les autres sont confits de leurs certitudes et ne voient la réalité que par le prisme de leur indécrottable anthropocentrisme et de leur scientisme. Entre ces minorités agissantes et omniprésentes, il existe bien des gens de bonne volonté, mais ce sont rarement ceux-là qui se font entendre. Le pire serait un « dialogue » entre le petit procureur jacobin, Karl Zéro, et le minet philosophe, Luc Ferry. A Dieu ne plaise.