Mercredi 3 octobre. Jean-Louis Borloo se présente au micro de l’Assemblée Nationale, avec son air sympathique de Gavroche un peu vieilli, ses cheveux en bataille, et cette lueur de sincérité, de générosité et de bonhomie si caractéristiques. Son discours n’est pas exempt d’émotion. Mais on sent qu’il tient fermement la bride ; il ne veut pas trop déplaire aux uns, ni effrayer exagérément les autres, c’est-à-dire ceux de son propre camp. L’exercice, ma foi, est assez bien réussi. Derrière son aspect bohème, l’homme est rompu à la politique. Et c’est un bourreau de travail.
Jean-Louis Borloo, beaucoup l’ont senti depuis un moment, s’est vraiment « converti » à l’écologie et mesure sans doute pleinement aujourd’hui l’ampleur des dégâts que nous avons causés à notre environnement. Oui, « converti », car il y a bien, dans la prise de conscience écologique, une forme de révélation religieuse. Cette dernière, il est vrai, doit s’accompagner d’une approche rationnelle, celle qui permet de faire la différence entre la lucidité et le fanatisme. Mais cette part de foi dont je parle, se confond avec l’émotion qu’elle véhicule. Je veux dire que, dans notre façon de comprendre enfin que cette terre ne nous appartient pas, mais que nous lui appartenons, dans cette vision que la richesse inouïe du vivant n’a d’équivalent que sa fragilité, il y a véritablement un engagement total. Ne répétons pas les antiennes des extrémistes, ceux qui séparent le bon grain de l’ivraie, ceux qui placent les clairvoyants d’un côté, et les hommes des ténèbres de l’autre. La vie est rarement ainsi, si ce n’est dans leur esprit cloisonné. Peu importe alors que l’on soit un ancien adepte ou un nouveau converti. On évoque, parfois avec raison, l’engagement tardif de certains et je me souviens du temps, pas si lointain, où, lorsque nous parlions de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique ou de l’érosion de la biodiversité, on nous traitait de rabat-joie, d’illuminés, de sectateurs de l’Apocalypse. encore des références religieuses. Bien sûr, il est agaçant de voir tous ces écolos de la vingt-cinquième heure, ces militants autoproclamés, et ces pieux bavards dont la physionomie ravalée sent bon la peinture fraîche, il est horripilant de les voir jouer des coudes et se pousser devant les caméras pour s’attribuer la bonne conscience au goût du jour. Mais qu’importe ! Tout cela est si tristement humain.. Et si banal. L’important aujourd’hui n’est-il pas d’agir, plutôt que de solder quelque comptes dérisoires ? De toute façon, Jean-Louis Borloo, le co-fondateur de Génération écologie, n’est pas un opportuniste, nul ne peut en douter.
Alors qu’il s’apprête à entamer son homélie, la caméra saisit l’air studieux et attentif de Madame la Secrétaire d’Etat, la charmante Nathalie Kosciusko-Morizet. Bel alliage de timidité et de volonté, de pudeur et d’efficacité, elle observe son ministre monter en chaire. La diagonale de son regard s’élève vers lui ; et si on ne savait rien de ces deux là, on pourrait se méprendre, croire qu’une jeune disciple admire son mentor. Mais nous savons déjà que, tous les jours, l’élève fait en réalité elle-même la classe au maître, l’informant de tous les dossiers et lui communiquant probablement son enthousiasme. Elle aussi lutte discrètement contre la fatigue. Elle a été partout, a tout lu, tout étudié, tout écouté, sans préjugé, sans l’arrogance ou l’agressivité auxquelles nous avaient tant habitué les vieux briscards de la politique, un peu trop sûrs qu’ils étaient de leur prébende et de leur interminable longévité. Ceux-là, on finissait presque par les identifier aux affreux barbons coiffés de chapeau noir que l’on voyait perchés comme une nuée de corbeaux sur la terrasse du Kremlin, les jours maussades de grandes parades. Ceux-là, les impénitents du pouvoir, me font songer au joli mot qu’avait eu Mirabeau pour évoquer la longueur du règne de Frédéric II : « On en était fatigué jusqu’à la haine ». Place aux jeunes, donc ! Aux jeunes d’esprit, il va sans dire, car peu importe l’âge véritable. Sous ses airs de petite fille sage, Nathalie Kosciusko-Morizet manifeste cette fougue, cet allant, qui, mêlés à une pointe de nervosité, lui donne une sorte de parenté factice avec le ministre. Kosciusko-Morizet, c’est de l’action sans effets de manche ni mascarades. Hosannah ! Après le temps morne de la Chiraquie, cette époque souvent funeste où les titulaires de l’environnement étaient de faux symboles ou alors des soldats Ryan qu’on aurait abandonnés au casse-pipe, en rase campagne, la Chiraquie qui allait de la supercherie d’une Roselyne Bachelot à l’amertume rentrée d’un écologiste convaincu tel que Serge Lepeltier, en passant par Nelly Olin qui – il faut lui reconnaître cela – a évolué au cours de son ministère. la Chiraquie, donc, n’aura été pour l’essentiel, qu’une suite de promesses non tenues. C’était la nudité d’une fausse vertu drapée d’une charte et d’un flot de belles paroles. La Chiraquie, le lobbysme et l’intérêt catégoriel tout puissant, les basses manoeuvres et les calculs à courte vue triomphant trop souvent de l’urgence (1). Si elle ne manque pas d’intérêt, si elle constitue même une étape essentielle, sa charte me fait parfois songer à toutes ces pétitions dont se contentent certaines bonnes âmes pour sauver les hommes en détresse ou les espèces en voie d’extinction. Le gorille, l’orang-outan et le tigre disparaîtront sous un monceau de papier, le papier fait avec les arbres des forêts où ces animaux ont déjà, ou presque, cessé de vivre.
La secrétaire d’Etat à l’écologie ne parlera pas, elle prend des notes, guette le moindre détail qui pourrait encore lui servir.
Dans les rangs plus peuplés de l’opposition, Noël Mamère est là, lui aussi. Pour une fois il a un peu mis de côté son ton d’aboyeur et, aujourd’hui, sa moustache ne frise pas systématiquement d’une vertueuse colère. Il y a encore Montebourg, le jeune hurleur du PS qui, lui, en revanche, fidèle à sa caricature, et comme désireux d’enchérir encore un peu plus sur elle, proteste, vocifère, s’agite et fait quelques grands moulinets dans le vide. Pour autant le débat reste digne. Quelques uns, dont je suis, sont encore sous le coup de l’émotion suscitée par l’appel vibrant qu’a lancé Nadine Morano en faveur des salariés Michelin de Toul. Dans cette période où l’on nous reparle du boursicotage des combinards d’EADS, le contraste entre ces deux affaires accentue le sentiment d’indignation.
Après Jean-Louis Borloo, la parole est donnée à un député du Nouveau centre, c’est-à-dire la partie de l’UDF ralliée à Sarkozy : Jean Dionis du Séjour. Ses propositions sont sans véritable surprise : il préconise des expertises scientifiques, une loi-cadre, de nouvelles expertises, encore et toujours des expertises. Je suis sur le point de sommeiller quand soudain une intervention inepte, venant encore étayer cette obsession de l’expertise, me fait sursauter :
« Notre soutien à certaines idées populaires doit être fondé : faut-il, par exemple, imposer 20 % de produits bio dans les cantines ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) Si l’agriculture biologique mérite notre soutien, gardons à l’esprit que c’est de la santé des Français qu’il s’agit et que c’est avant tout en fonction de l’apport nutritionnel et des qualités gustatives des aliments qu’il faut prendre des décisions ».
Je me frotte les oreilles, je me dis que j’ai mal entendu, que l’on ne peut pas encore proférer de tel sottises au sein de l’Assemblée nationale, en 2007, alors que la terre, les mers et les rivières sont truffées de pesticides et de polluants en tous genres. Mais non, je n’ai pas rêvé. Jean Dionis du Séjour enfonce lui-même le clou : « Le bio ne garantit en rien le plaisir de manger ! »
« Plusieurs députés UMP – Très bien !
« M. le Président de la commission – C’est plein de bon sens !. ».
Eh ! On se croirait soudain catapulté au sein de la Comédie française, ou plutôt, sur le tréteaux de quelque Grand Guignol. Le président de la commission ? C’est le compagnon de MAM, Patrick Ollier, le même qui s’était déjà illustré lors d’un amendement funeste sur la loi concernant les éoliennes et les énergies renouvelables, amendement d’ailleurs rejeté par le Sénat.
Voici maintenant qu’intervient Jean-François Coppé, avec cet air de petit singe malicieux qu’on lui connaît. Il est toujours aussi combatif. On sent que, de son oeil vif, il cherche l’arène. Car cet homme aime se frotter à l’adversaire. Il est intelligent, à n’en pas douter, mais, en l’écoutant persifler on a envie de lui dire, pas cette fois, pas aujourd’hui, Jean-François Coppé, pas d’enfantillages de droite ou de gauche. Il y a des moments où l’ironie mordante n’est plus de mise. Et puis, il faut l’avouer, l’intervention de Coppé n’est pas à la hauteur de l’enjeu : Le développement de la filière hydrogène ? Une excellente chose, tout le monde en parle, tout le monde le réclame, mais il ne doit pas devenir un nouvel alibi. Pour le député, la priorité consiste aussi à rassurer la droite sur la croissance en effectuant de nouvelles mises en garde contre les écologistes extrémistes « Pères Fouettards moralisateurs ». Baisser la vitesse de 10 km sur route ? Attention aux fausses-bonnes idées écolo, nous répètent les bons docteurs Ollier et Coppé. Pourtant, quand les écologistes préconisent de diminuer la vitesse, ce n’est pas pour le plaisir ou pour avoir l’étrange privilège d’édicter des règles, mais parce qu’ils considèrent qu’un petit sacrifice aujourd’hui vaut mieux qu’un gros demain… Borloo s’était déjà appliqué à le répéter, pas de décroissance, pas d’augmentation globale de la fiscalité. Il faut rester fidèle à la feuille de route du candidat Nicolas Sarkozy. Bien, pourquoi pas. Le pari de la relance, celui d’opérer des prélèvements à taux global constant, en jouant sur les répartitions fiscales et en diminuant les charges pesant sur le travail, est loin d’être un mauvais calcul. (Mais quid de la « faillite » ?) Et concrètement, que fait-on ? Quand il ne reste plus que vingt pour cent des forêts primaires, parce que nos entreprises, et nos consommateurs, entre autres, ont déjà pillé le reste ? Que fait-on quand une espèce de poisson sur trois est menacée d’extinction ? Quand les quotas de pêche français ne sont même pas respectés et que des prises illégales, par milliers de tonnes, sont effectuées par des pêcheurs inconscients, eux-mêmes couverts indirectement par des autorités laxistes ? Où sont les mesures de contrôle efficaces ? Ou est la volonté politique ? Est-il raisonnable, quand l’Europe tente d’enrayer la disparition des anchois de réclamer encore des prolongations comme l’a fait Michel Barnier ? Je ne suis de ceux qui attendent en embuscade le premier faux pas du gouvernement et je souhaite, au nom de l’intérêt général, que sa politique économique puisse aboutir.
Sans doute ne faut-il pas mettre en péril l’économie, mais cela n’interdit pas de réfléchir aux modalités du « développement durable » ni aux limites de la responsabilité humaine.
Un peu plus tard, Patrick Ollier se congratule pour le travail environnemental effectué par la majorité au temps de Jacques Chirac : « Notre majorité a accompli en cinq ans un travail considérable, que je revendique, au nom de tous ceux qui y ont participé (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau centre et du groupe UMP) ». Comment ! La France est le premier importateur européen de bois exotique, le troisième utilisateur au monde de pesticides ; le pays a été plusieurs fois montré du doigt par l’Europe pour non respect du taux de nitrate en Bretagne, l’agriculture biologique ne couvre pas même 2% des surfaces, et nous possédons sur notre territoire un grand nombre d’espèces menacées… Et Patrick Ollier se félicite ! La vérité est que, depuis dix ans, ni la droite de Jacques Chirac ni la gauche de Lionel Jospin, n’ont pris la mesure de cette catastrophe pourtant mille fois annoncée… par quelques pères fouettards moralisateurs !
Le discours du socialiste Jean-Pierre Martin était incisif, très concret lorsqu’il soulignait certaines contradictions de la politique gouvernementale ; mais il laissait une top grande part à la polémique, comme c’est malheureusement souvent le cas de l’opposition.
Tel n’était pas le cas du député des Verts, Yves Cochet. Celui-là, je suis parfois impressionné de le voir et de l’entendre. Avec sa prestance naturelle, mi-prince florentin, mi-artiste, ses cheveux bruns et ses grands yeux bleus d’hidalgo, cet homme a vraiment de la gueule… et des idées. Il se tient un peu raide devant le micro comme un cavalier du Cadre Noir. Il connaît la situation et ne perd pas son temps en polémiques stériles. A travers cette affabilité mâtinée de gravité, on perçoit une certaine tristesse, celle du moins que procure la lucidité. Le discours sera concis, juste, sans fioritures ni exercices d’éloquence parlementaire. Autant et peut-être plus encore que son intervention elle-même, la simplicité avec laquelle elle est prononcée constitue une autre façon de souligner l’urgence. Après avoir rappelé quelques points fondamentaux : la nécessité d’instaurer un plan national d’isolation thermique, de faire un moratoire sur la construction de nouvelles autoroutes (contradictoire précise-t-il avec la volonté de réduire les gaz à effet de serre), il se fend d’un franc et sympathique « bonne chance » à l’endroit du ministre. Impérial ! Comme nous sommes loin, dans la forme du moins, des sombres prédictions de Cécile Duflot, porte-parole des Verts, qui déclarait, dès juillet, qu’en matière d’écologie, il n’y avait rien à attendre de la droite.
L’intervention de Jean-Christophe Lagarde, député du Nouveau Centre, a été remarquable elle aussi. Et il faudra attendre celles des députés UMP Serge Grouard et Jean-Claude Guillet pour retrouver le même souffle. Surtout, il effectue une analyse, affranchie des dogmes et ose prononcer les mots qui fâchent, les mots tabous : « contrainte « , mesures » impopulaires », « surtaxe « , manque de vision « stratégique « , absence de corrélation entre la recherche et les universités, aucune réflexion d’ensemble.. : « Où sont les modèles français à moteur hybride ? Où sont les prototypes français de voitures à hydrogène, tels qu’il en existe au Japon ou aux États-Unis ? » (que ne l’a-t-il dit quelques années plus tôt !). Il y a cependant un terme que la droite ne veut pas encore prononcer, un terme qui pétarade et siffle à ses oreilles : « nucléaire ».
Il y aura encore bien des interventions de qualité, celles notamment de Geneviève Gaillard, pour le PS, de Jean-Claude Guillet pour l’UMP, de Christiane Taubira pour le PRG…
Qu’ils soient d’ailleurs de droite ou de gauche, beaucoup l’ont répété ce 3 octobre : le rendez-vous de Grenelle est essentiel, parce qu’il peut marquer une véritable rupture dans l’orientation générale de la politique française. Et si c’est le cas, il aurait alors une valeur exemplaire, aux plans européen et international. Car ce n’est là en somme qu’un amuse-bouche, la première étape d’un processus de discussion à l’échelle communautaire et mondiale : conférence de Bali, en décembre, future présidence française de l’Union européenne, l’année suivante, laquelle coïncide avec le départ de George Bush, un ballon d’oxygène pour la planète !… Et le député Serge Grouard, avec un lyrisme parfaitement assumé, s’est référé à la France des Lumières pour nous redire l’occasion exceptionnelle qui se présente à nous. Tout concorde donc, aujourd’hui, pour donner au pouvoir politique les moyens d’une véritable rupture en matière de réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité. Nous avions déjà eu de beaux discours, tel celui de Johannesburg en 2002, il nous faut maintenant des actes.
Mais laissons le mot de la fin au député de la Martinique, Alfred Marie-Jeanne, qui a serti son propos d’une belle et célèbre citation :
« Nous nous sommes enrichis de l’utilisation prodigue de nos ressources naturelles et nous avons des raisons d’être fiers de notre progrès. Mais le temps est venu d’envisager sérieusement ce qui arrivera quand nos forêts ne seront plus, quand le charbon, le fer et le pétrole seront épuisés, quand le sol aura été davantage appauvri et lessivé vers les fleuves, polluant leurs eaux et dénudant les champs. »
Theodore Roosevelt, président des États-Unis, 1909.
(1). La violence de cette charge qui, j’en conviens, n’est pas exempt de caricature – est toutefois à l’échelle de la déception que j’ai éprouvée pendant la Présidence de Jacques Chirac. Elle souligne essentiellement le profond décalage qui a alors séparé la parole de l’acte.
Samedi 6 octobre 2007
Pour toute référence à ce texte, merci de préciser : Laurent Dingli, « Le Grenelle de l’environnement à l’Assemblée nationale », Le site de Laurent Dingli, octobre 2007.