L’Humanité, la chronique de Cynthia Fleury, 16 novembre 2004

Mais qui est Robespierre ?

En ces temps de commémoration nationale – le Sénat a célébré, le 9 novembre dernier, le 60e anniversaire de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire ; transférée, après la libération de Paris, d’Alger au palais du Luxembourg (elle était censée rétablir le fonctionnement de la République et réenclencher la démocratie) -, Laurent Dingli (1), docteur en histoire, nous invite à remonter davantage le temps pour nous pencher sur le destin d’un pionnier de la démocratie républicaine française : Robespierre.

L’historien nous dresse le portrait d’un enfant délaissé par ses parents : sa mère meurt quand il a six ans, et son père – avant de mourir en 1777 sans que ses enfants n’en sachent rien – l’abandonne pour mener une vie des plus débonnaires. Le jeune Maximilien en gardera un souvenir poignant et sera toute sa vie extrêmement sensible « aux manquements, aux trahisons et aux corruptions ». Dès l’adolescence, il s’invente un personnage sans indulgence pour l’inconstance, à l’éloquence froide. « Pénétré de sa propre excellence », sa suffisance frise l’irrévérence, mais ce qui intéresse le jeune avocat c’est davantage l’idée d’autosuffisance : « se suffire à soi-même », se tenir à distance du commerce des hommes. Pourtant, le futur chef révolutionnaire est fin tacticien et tout disposé à intégrer les « clubs » ou autres cercles d’initiés. « Il est assez cocasse, écrit Laurent Dingli, d’entendre un buveur d’eau invétéré chanter les louanges du vin » le jour où il se doit de prononcer un discours pour la réception d’un nouveau membre de la société des Rosati.

L’être est blessé et la résilience s’avère difficile. Il pratique à outrance la « rétention des pulsions » ; « l’envie » est sa « passion dominante ». Pour Merlin de Thionville, « l’envie est pour moitié dans les crimes qui l’ont perdu » ; quant aux femmes, « il est faux qu’il ait eu l’honneur de les aimer ; au contraire, il leur a fait l’honneur de les haïr ».

Le portrait est sans complaisance, mais complexe, dans la mesure où la mégalomanie robespierriste se mêle à l’incorruptibilité qui, elle, ne fraye qu’avec l’orgueil. Le livre est rempli des discours où Robespierre perce à jour les futurs défis de la République, notamment celui de la désacralisation. Maximilien n’est pas une grenouille de bénitier mais il connaît l’usage politique du religieux : « Vous vous garderez bien de briser le lien sacré qui les unit [les hommes] à l’auteur de leur être. Il suffit même que cette opinion ait régné chez un peuple, pour qu’il soit dangereux de la détruire. Car les motifs des devoirs et les bases de la moralité s’étant nécessairement liés à cette idée, l’effacer, c’est démoraliser le peuple. Il résulte du même principe qu’on ne doit jamais attaquer un culte établi qu’avec prudence et avec une certaine délicatesse, de peur qu’un changement subit et violent ne paraisse une atteinte portée à la morale, et une dispense de la probité même. » Lui, l’apôtre de la décapitation, a bien saisi toute la subtilité d’une articulation politico-religieuse. Certes, il faut se garder des croyances superstitieuses ou autres cultes fanatiques, mais il faut se garder également du « monstre de l’athéisme » qui assassine l’humanité : « Homme, qui que tu sois, tu peux encore concevoir des hautes pensées de toi-même ; tu peux lier ta vie passagère à Dieu même et à l’immortalité […]. Soyons généreux envers les bons, compatissants avec les malheureux, inexorables avec les méchants, justes envers tout le monde. » Pas très « profane » tout cela, surtout dans la bouche de celui qui se désigne comme « la sentinelle du peuple ».

Laurent Dingli nous dresse aussi le portrait de la Convention nationale, cette « arche sainte ». C’est là, entre les Girondins et les Montagnards, que la confusion et l’inversion des priorités s’opèrent : « Beaucoup de révolutionnaires sont prisonniers de leurs priorités idéologiques. Une fois obtenue l’égalité politique, le plus urgent est de châtier les traîtres et d’en finir avec le roi et non pas d’assurer les subsistances ou la sécurité de la population. » Cette « priorité du châtiment » aura raison de la Révolution. C’est alors que Saint-Just s’exprime pour la première fois à l’Assemblée. À la question « Peut-on juger le roi ? », le député démontre que le roi doit être jugé « en ennemi » : « Louis est un étranger parmi nous : il n’était pas citoyen avant son crime ; il ne pouvait voter ; il ne pouvait porter les armes ; il est encore moins depuis son crime.»

Le régicide, comme la Terreur, ne sont pas loin.

Comment dépasser le souvenir mortifère de Robespierre ?

(1) Robespierre, coll. Éditions Flammarion,

« Grandes biographies », 2004.