Travaillant d’abord sous l’autorité de son père, puis en survivance comme secrétaire d’Etat de la Marine et de la Maison du roi, le fils aîné de Colbert déploie dans sa courte existence (il est mort à trente-huit ans en 1690) une intense activité dont les divers domaines fournissent le plan de l’ouvrage : la marine de guerre, renforcée et complètement rénovée (ports, constructions navales, équipages et leur formation) ; corrélativement l’action dans les terres lointaines : Antilles et surtout « l’aventure siamoise » ; enfin le rôle de Seignelay dans la persécution des protestants avant et après la révocation de l’édit de Nantes. Encadrant ce corps du livre, on voit d’abord l’héritage et la formation de Seignelay, et c’est à la fin du volume qu’est esquissé un portrait du secrétaire d’Etat. Celui-ci se révèle un grand ministre, injustement éclipsé par la stature de son illustre père ; il n’était pas moins doué et travailleur, mais plus brillant et fastueux que l’austère contrôleur général.
Pour peindre cette carrière, le style de Laurent Dingli se veut aussi brillant ; la lecture de ce livre pétulant, débordant de vie, est aisée et passionnante, au prix, parfois, de facilités et familiarités excessives. Jean Meyer, dans sa préface, parle de style « flamboyant », à l’image de son héros, mais : « poussé à la limite du persiflage » !
Outre l’étude magistrale de la marine, on peut relever des passages particulièrement brillants, par exemple sur les affaires siamoises, ou encore sur la politique suivie face à l’émigration des protestants. Une seule réserve, peut-être : beaucoup de ces études excellentes sont un peu trop déployées « en soi », et il arrive qu’on en oublie Seignelay lui-même. Mais Jean Meyer a raison de noter finement dans sa préface la méthode de l’auteur : « un dossier bourré de menus et moins menus faits, de ceux qui par petites touches, éclairent et élargissent la vision ». Et cela conduit au portrait et à une tentative de jugement à la fin ». En effet, la question est posée par Laurent Dingli : qui était donc Seignelay ? Le « grand génie » que Claude Perrault faisait figurer parmi « les hommes illustres » de son temps ? Le jouvenceau altier et superbe dépeint par Saint-Simon ? Ou encore la personnalité flamboyante dont le « génie était encore plus vaste que celui de son père », comme l’affirmait Voltaire ? A part quelques faiblesses mineures, tout ce beau texte tente de répondre à ces questions. On salue la présence des notes en bas de page et d’un index.
Michel Arondel
Laurent Dingli, Colbert, marquis de Seignelay. Le fils flamboyant, préface de Jean Meyer, Perrin, Paris, 1997, un volume in-8 broché, 393 pages, index, 149 F.
Cet ouvrage est une version allégée pour un public élargi d’une thèse de doctorat soutenue sous la direction du professeur Jean Meyer, qui a écrit la préface.