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L’industrie automobile au début de l’Occupation

 Pour toute référence à ce texte, merci de préciser : Laurent Dingli, Jacky Ehrhardt, ”L’industrie automobile au début de l’Occupation”, L’Aventure automobile, n° 7, Mai-juin-Juillet 2019 (version annotée)

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Rarement, depuis la Révolution – à l’exception de la Grande Guerre –, la France n’a subi de choc équivalent à la défaite de juin 1940. Soixante-dix-huit ans après les faits, il faut effectuer un effort d’imagination pour se représenter la violence de ce qui fut, au sens propre, un traumatisme collectif. Restituer le contexte est d’autant plus nécessaire que l’histoire de l’industrie automobile sous l’Occupation est mal connue[1]. Il est impossible, dans le cadre d’un article, de traiter cette question de manière exhaustive, c’est pourquoi nous nous contenterons d’étudier les premiers contacts établis entre les constructeurs français et les autorités allemandes au début de l’été 1940. La période allant de l’armistice à l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht correspond au redémarrage de l’industrie française, cette fois au profit du IIIème Reich. Dans ce cadre, les secteurs tels que l’automobile attirèrent tout particulièrement l’attention de l’occupant.

Une France traumatisée

L’industrie automobile en juin 1940

Industrie de pointe, souvent liée à l’aéronautique dont elle avait favorisé l’essor au début du siècle, l’automobile a puissamment contribué à la défense nationale pendant la drôle de guerre et la bataille de France. Il faut s’imaginer ce que furent ces dix mois de travail intense, le surmenage du personnel des entreprises et de leurs dirigeants. En fin de période, les ouvriers et ouvrières s’échinent 60 heures par semaine dans des conditions souvent pénibles et dangereuses. L’épuisement, la fulgurance de la défaite, les péripéties de l’exode, contribuent à l’état de sidération dans lequel se trouve une grande partie de la population française.

En juin 1940, l’automobile est l’un des fers de lance de l’industrie. Depuis la fin des années vingt, elle a rationalisé ses méthodes de travail, développé et modernisé ses installations et son outillage. Le mouvement est appuyé par la politique de défense nationale à partir de 1935 et surtout de 1936. Avant la guerre, l’automobile occupe le premier rang des industries mécaniques et un rôle majeur dans l’économie française avec ses 140 000 ouvriers, son poids dans la balance commerciale et le montant de son chiffre d’affaires. Un phénomène de concentration est à l’œuvre depuis la fin de la Grande Guerre, le nombre de constructeurs passant de 150 en 1920 à 31 en 1939[2].

Mais cette modernisation et ces atouts ne doivent pas masquer de réels handicaps dus autant à l’organisation interne de l’industrie automobile qu’à la configuration géographique et économique de la France. Si le secteur s’est relativement modernisé, l’effort de rationalisation est encore balbutiant. Entre 1913 et 1938, l’industrie automobile française est passée du second au quatrième rang mondial (derrière les États-Unis, l’Angleterre et l’Allemagne) et au cinquième, derrière l’Union soviétique, si on ne considère que les véhicules industriels. Comme le reste de la métallurgie, elle est largement dépendante de l’outillage fabriqué aux États-Unis et en Allemagne tandis que ses centres d’approvisionnement (acier et matières premières) se situent dans des régions proches du Reich, dans les colonies et à l’étranger. Un effort important de décentralisation des usines de guerre est réalisé à l’initiative des pouvoirs publics, mais il est souvent tardif et ne permet pas de surmonter toutes les difficultés inhérentes à la perte des territoires du Nord et de l’Est après la première phase de l’offensive allemande en mai 1940.

            Exode et armistice

Sauf dans le cas de Berliet, le mouvement de repli des grandes entreprises automobiles se déroule dans un ordre et une discipline qui contrastent avec la confusion générale. Certains dirigeants ont par ailleurs pris soin d’évacuer ou de détruire une partie ou la totalité du matériel de guerre qui, faute de temps, n’avait pu être livré à l’armée française. Le reste sera pris comme butin par la Wehrmacht.

A la signature de l’armistice, la France est paralysée : les routes terrestres et les voies ferrées ou fluviales souvent impraticables, les familles dispersées, le ravitaillement rare. A titre d’exemple, plus de 2 600 ponts ont été détruits par la seule armée française pendant sa retraite. Certaines usines comme celle de Citroën à Javel ont été bombardées. Le pays donne l’impression d’avoir sombré dans le chaos. Pour ajouter à ces difficultés, la France est bientôt délimitée en cinq zones dont deux principales, occupée et non-occupée, auxquelles il faut ajouter l’Alsace-Moselle purement et simplement annexée par le Reich, une zone interdite et le Nord, rattaché au commandement militaire allemand de Bruxelles. Le gouvernement français, tout d’abord replié à Bordeaux, s’installe à Vichy et détache un représentant à Paris.

Que vont décider les maîtres de l’heure ? Faut-il rentrer de l’exode et rouvrir les usines ? Et comment nourrir le personnel, préserver l’outil industriel du pillage et de la destruction ? Il n’y a plus d’information, presque plus de communication ; on ignore les intentions du vainqueur et les nouvelles règles qu’il a édictées en matière de circulation, de monnaie, de réquisition…

Le redémarrage de l’industrie

Voilà, très succinctement résumée la situation à laquelle le personnel et les dirigeants des entreprises automobiles furent confrontés au lendemain de l’armistice. Mais avant d’aborder les premiers contacts avec l’occupant, il est nécessaire d’évoquer la période postérieure à la Libération. A cette époque en effet, la plupart des constructeurs automobiles furent inculpés pour leur activité sous l’Occupation. La quasi-totalité d’entre eux, dont l’ancien directeur général de la Société anonyme des usines Renault, entretemps nationalisée, obtinrent un non-lieu[3]. Or cette décision de classement posait un problème politique majeur dans le cas de Renault, car elle contredisait la condamnation posthume du fondateur de l’entreprise qui avait constitué le socle de la nationalisation-sanction du 16 janvier 1945. Le non-lieu obtenu par l’ancien DG de Renault, René de Peyrecave, le 30 avril 1949, influença l’administration fiscale, pourtant réputée très sévère dans son appréhension des faits de collaboration économique. Le rapporteur du premier comité de confiscation des profits illicites de la Seine, chargé du dossier Renault, se rangea en 1956 à l’avis de la justice et considéra que la firme au losange, ayant fait l’objet d’une réquisition régulière, dès l’arrivée des Allemands, pouvait invoquer l’excuse de la contrainte[4]. Malgré le départ en retraite anticipée de l’auteur, ses conclusions furent confirmées en 1957 par son successeur, l’inspecteur Barbedienne. C’était une véritable bombe qui provoqua la colère du P-DG de la Régie nationale des usines Renault, Pierre Dreyfus, lequel alla jusqu’à mettre en cause les compétences des deux rapporteurs[5]. Cette contradiction était en effet délicate pour un État qui avait confisqué les biens d’un homme mort sans jugement, au mépris des principes constitutionnels les plus élémentaires. Afin de dissocier les responsabilités entre l’entreprise et son fondateur, la justice avaient pourtant pris soin d’affirmer que Louis Renault s’était « efforcé, au début de l’Occupation, de prendre des contacts directs avec les Allemands, alors qu’il lui était facile de se retrancher derrière la décision du COA » (comité d’organisation de l’automobile) qui, en réalité, n’existait pas à cette date.

Comment se déroula dans les faits la remise en route de l’industrie automobile française au profit du IIIème Reich ?

            L’organisation allemande : entre pillage et contrôle de la production

Dès leur arrivée, les Allemands se saisirent des entreprises dont ils prononcèrent la réquisition. Même s’ils commencèrent immédiatement le pillage d’une partie des installations, des stocks et des machines, cette mesure avait surtout un but conservatoire : la politique du Reich à l’égard du potentiel industriel français n’avait pas encore été bien définie à Berlin. Fallait-il exploiter les forces vives de la France sur place ou les transférer en Allemagne ?

A quelques nuances près, le système d’exploitation de l’industrie française était calqué sur l’organisation du Reich. L’un des maillons essentiels en était la Rüstungsinspektion (Rü-In) ou Inspection de l’Armement, créée pour la France par ordre du 20 juin 1940 et placée sous la direction du général Schubert. Directement subordonnée au Commandement militaire de Paris, elle avait son siège à l’hôtel Astoria, 132, avenue des Champs-Élysées. Le service était subdivisé par zones géographiques : la Rü-In A contrôlait Paris, la Seine-et-Marne et la Seine-et-Oise, soit l’essentiel de l’industrie en zone occupée ; la Rü-In B, installée à Angers, s’occupait de l’Ouest et du Sud-Ouest de la France, et la Rü-In C, basée à Dijon, de la partie Est. Le service œuvrait de concert avec les « troupes de l’économie », chargées de l’enlèvement et de l’expédition vers l’Allemagne du butin de guerre, jusqu’à leur dissolution en février 1941. Une des missions principales de l’Inspection consistait à « la remise en marche des entreprises de l’industrie désignées par le commandement militaire. [6] »

Trois unités avaient constitué l’embryon de cette structure : le groupe « P » de l’économie, composé de 25 officiers et sous-officier placés sous la direction du capitaine Vering, créé à Hambourg les 8 et 9 juin ; le groupe « Rüstung » de l’administration militaire dont l’état-major comprenait 15 officiers, sous-officiers et agents, et enfin le groupe « P » des matières de production, doté d’un effectif de 47 personnes. Les trois unités se retrouvèrent à Cologne entre le 10 et le 13 juin 1940. Là, avec le concours du bibliothécaire de la Chambre économique de Rhénanie, elles constituèrent un fichier des entreprises et des groupements économiques français les plus importants. Cette base de données fut ensuite complétée par les listes d’entreprises ayant travaillé pour la défense nationale qui furent transmises aux Allemands par le gouvernement français. La chronologie indique bien que l’organisation de la Rü-In France s’est faite au fur et à mesure de l’avancée allemande et n’avait sans doute pas été prévue avant le début de l’offensive, le 10 mai, du moins dans ses détails.

L’État-major de l’économie militaire et de de l’industrie de l’armement s’installa dans l’hexagone le 3 juillet 1940 ainsi que 4 (puis plus tard 3) Rü-In[7]. Dans la même période fut établi un service dirigé par le colonel (Oberst) Max Thoennissen, plénipotentiaire général pour les véhicules automobiles (Generalbevollmächtigte für das Kraftfahrwesen, GBK). Enfin, le conseiller d’État en construction Kummer prit ses fonctions de délégué spécial des troupes rapides (Schnelle Truppen), le 26 août 1940. Il était chargé à ce titre des engins blindés et donc du contrôle des entreprises automobiles françaises spécialisées dans cette fabrication comme Renault ou Hotchkiss[8].

Des commissaires, désignés par les occupants sous le sigle IB (Industrie Beauftragte, c’est-à-dire « fondé de pouvoir industriel ») furent également installés dans les usines. Pas moins de trois pour Renault à Billancourt, deux pour Chausson et Delahaye. Ces hommes, souvent des ingénieurs, connaissaient parfaitement l’industrie automobile et métallurgique pour en être eux-mêmes issus. Plus précisément, c’étaient des employés chevronnés des entreprises allemandes qui avaient sollicité et reçu de Berlin la tutelle des sociétés françaises dont les fabrications les intéressaient : Daimler-Benz pour Renault, Volkswagen (VW) pour Peugeot, Auto-Union pour Citroën et SIMCA, VW et Süddeutsche Kühlerfabrik (SKF) pour Chausson, etc. A titre d’exemple, les commissaires de Delahaye, Stanievicz et Schmitz, étaient respectivement directeur technico-commercial et directeur des ateliers de la firme allemande Büssing-Nag. Les IB coiffaient souvent plusieurs entreprises. Egbert Fischer, auquel succéda le Dr Friedrick Lucke, employé dans le civil par la firme Dentz de Cologne, fut ainsi chargé de Latil, Saurer, Willème, Camions Bernard, Coder, Licorne et Laffly. Un doute subsiste quant à la planification de cette prise en charge. Ce qui est certain, c’est qu’elle s’est décidée suffisamment tôt pour que ces spécialistes soient mis en place dès les premiers jours de l’Occupation avec une mission de contrôle relativement bien définie. Notons que certains sont issus de l’aristocratie comme Paul von Guilleaume, collaborateur de l’usine Adler de Francfort-sur-le-Main, IB de Peugeot et de Chausson – dont le frère était employé au GBK –, le prince Wilhelm Fürst von Urach, attaché à Renault, ou Heinz von Baumbach, commissaire de Citroën. A noter également que les entreprises françaises devaient payer les salaires et les frais des IB chargés de les contrôler. Hotchkiss dut ainsi régler plus de 5 700 Reichsmark (RM) en août 1941 pour le salaire et les frais d’hôtel de son commissaire, Hermann Speich, ingénieur de Krupp-Gruson à Magdebourg[9].

Au cours de l’été 1940, les industriels de la zone occupée se retrouvèrent souvent livrés à eux-mêmes face aux autorités d’occupation. A part les préfets et les chambres syndicales patronales, organismes qui faisaient la liaison avec Vichy, le seul interlocuteur officiel était l’ancien ambassadeur de France à Varsovie, Léon Noël, nommé délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés.

Les premiers contacts

Au moment de la défaite, certains dirigeants d’entreprise se trouvaient loin de leurs usines, parfois même à l’étranger ; c’était le cas de Louis Renault qui s’était rendu aux Etats-Unis fin mai 1940 à la demande du ministre de l’Armement pour y négocier la production massive de chars d’assaut. De même, Henri-Théodore Pigozzi, directeur général de la SIMCA, était à Turin où le même Raoul Dautry l’avait missionné pour accélérer l’envoi de 2 200 camions FIAT destinés à l’armée française.

A notre connaissance, Jean-Pierre Peugeot fut le premier constructeur automobile à retrouver ses usines après la débâcle. Il rentre en effet à Sochaux dès le 27 juin 1940 à 21h 30, soit deux jours après la signature de la convention d’armistice et près d’un mois avant le retour de Louis Renault à Paris (mais à peu près au même moment que René de Peyrecave à Billancourt). Sur place, il constate que les troupes allemandes gardent les usines et en interdisent l’entrée. Le lendemain, 28 juin, il prend l’initiative de se rendre à la Kommandantur avec Robert Martin, sous-préfet de Montbéliard. Là, un lieutenant-colonel lui annonce « que n’ayant pas trouvé de personnel de direction à Sochaux, il attend une personnalité allemande à qui il est chargé de remettre les usines ». La menace de dépossession a un effet immédiat puisque Jean-Pierre Peugeot rencontre le même jour le major Fritz puis le commandant de la division allemande installée dans la région et obtient « l’autorisation de reprise de possession pour le lundi 1er juillet. [10] » Aussitôt, 375 ouvriers (sur les 13 000 que comptaient les usines avant l’exode) sont convoqués pour la remise en ordre des ateliers. Avant le 10 août, près de 400 voitures destinées au secteur civil sont produites.

La réquisition de Renault est prononcée dès le 18 juin et des affiches sont placardées aux portes de l’usine six jours plus tard. Le texte, émanant du GBK, stipule que les ateliers, les bureaux et les stocks sont réservés au gouverneur militaire de Paris et que l’entrée des locaux n’est permise qu’à des personnes munies de sauf-conduit. Le 25 juin, René de Peyrecave, administrateur-délégué des usines Renault, est nommé membre de la délégation française auprès de la Commission allemande d’armistice de Wiesbaden. Après avoir pris des instructions à la présidence du Conseil à Bordeaux, il rejoint Billancourt où il rencontre les commissaires allemands déjà installés dans l’usine. D’après sa déposition, ces derniers, menaçants, auraient exigé la reprise du travail. En cas de refus de la direction française, ils passeraient outre. Une note de la commission française d’armistice constate en effet que les commissaires allemands de Renault et de Citroën ont pour mission de prendre le contrôle des entreprises en cas de défaillance de leurs dirigeants. Au cours de la même période, François Lehideux, administrateur-délégué de Renault et neveu par alliance du fondateur de l’entreprise, intervient auprès des pouvoirs publics pour faire rouvrir, non seulement les usines de Billancourt, mais toutes les entreprises de la région parisienne. Il obtient dans ce but l’accord de Pierre Laval (27 juin) et l’appui de la préfecture de la Seine[11]. Une première commande de 1000 camions passée respectivement à Renault et à Citroën pour les besoins civils donnent un peu d’oxygène aux deux grandes entreprises.

Les usines Delahaye sont frappées d’une ordonnance de saisie provisoire dès le 24 juin et se voient attacher les commissaires Stanievicz et Schmitz. Le personnel, replié en région nantaise, commence à rentrer dès le lendemain. Les usines sont rouvertes le 1er juillet et fonctionnent à la fin du mois au tiers de leur activité normale, la société poursuivant pour la Wehrmacht la production de camions de 3,5 tonnes et de véhicules sanitaires qu’elle avait fournis à l’armée française. Ce n’est en revanche que le 15 juillet qu’une ordonnance de réquisition émanant du bureau d’approvisionnement de la Luftwaffe (GL) est affichée sur les portes des usines d’Asnières et de Gennevilliers de la société Chausson. Début août, c’est le tour de l’usine Delaunay-Belleville de Saint-Denis[12]. Mais, dans ce dernier cas, la réquisition est levée dès le 12 août à la suite de démarches faites par la préfecture de la Seine sur demande de la direction.

Jean Berliet, seul dirigeant de l’entreprise éponyme à être resté dans l’usine de Vénissieux depuis l’exode, obtient l’assurance des Allemands qu’il ne sera pas considéré comme prisonnier de guerre malgré son statut d’affecté spécial. D’après deux témoignages recueillis à la Libération, il convoque un de ses contremaîtres, un dimanche, pour réparer le side-car d’un officier de la Wehrmacht, et demande à un autre, Jean Faure, le 23 juin, de se mettre à la disposition de l’occupant : « Jean Berliet me dit de faire tout ce que les Allemands me demanderaient et leur donner tout ce qu’ils désireraient »[13].

De retour à Paris le 12 juillet, Louis Willème retrouve son usine de Nanterre partiellement pillée et réquisitionnée depuis quelques heures par le colonel Kurting, membre des chemins de fer allemand (Deutsche Reichsbahn). Quelques jours plus tard, le capitaine d’un parc de la Wehrmacht (HKP 503) installe un atelier de réparation de moteurs dans une partie de l’usine comme chez Renault à Billancourt et au Mans, Berliet à Courbevoie, Panhard à Orléans. Cette dernière entreprise fait également l’objet d’une saisie provisoire ; les Allemands se sont en outre emparé des machines immobilisées en gare pendant la débâcle ainsi que de plusieurs châssis dans le Loiret. A l’instar de leurs confrères, les Panhard tentent de faire lever la réquisition et s’adressent pour cela à leur chambre syndicale qui les renvoient à la préfecture de la Seine[14].

Lorsque les dirigeants de Chausson, Levet, directeur général, et Plegat, directeur commercial, rentrent à Paris, le pillage des machines de l’entreprise est en cours ; en plus de la menace d’un remplacement pur et simple de la direction française, la crainte de perdre installations et outillages a joué un rôle dans la volonté de reprise rapide[15]. Au-delà des reconstructions historiques postérieures, l’impression qui domine alors est celle d’une victoire durable de l’Allemagne dont il faut prendre son parti. Certains ne font d’ailleurs pas très bien la distinction entre l’armistice et la paix. C’est le cas du vieux Marius Berliet : la franchise bourrue avec laquelle il dépose à la Libération semble constituer le témoignage le plus proche de la réalité. Avant 1943, à part l’exemple très exceptionnel du carrossier Jacques Kellner, qui sera fusillé par les Allemands en mars 1942, aucun patron ne songe de près ou de loin à entrer en résistance.

En fait, côté français, la volonté de reprendre le travail est partagée par une grande partie de la population : industriels, craignant de voir disparaître un outil de production qui est souvent leur patrimoine familial ; ouvriers au chômage qui, pour beaucoup, n’ont plus aucun moyen de subsistance ; gouvernement de Vichy qui veut remettre la France au travail et instaurer un nouvel ordre politique et social ; Parti communiste clandestin, qui dans L’Humanité appelle à fraterniser avec les soldats de la Wehrmacht et à ouvrir les usines sans la présence des patrons[16].

Le 24 juillet, Léon Noël adresse une circulaire aux préfets dans laquelle il va jusqu’à menacer d’expropriation et de confiscation partielle tous les industriels qui n’auraient pas rouvert leurs usines : « Si la carence patronale n’apparaissait pas justifiée par la force majeure, le gouvernement se verrait obligé d’envisager une procédure d’expropriation dans des conditions à déterminer, mais qui ne comporterait pas l’indemnisation totale du patron défaillant »[17].

L’industrie automobile est l’une des premières à avoir rouvert ses usines à la date du 1er juillet 1940 comme le confirme un rapport allemand[18]. Seule Latil est toujours à l’arrêt uniquement parce qu’elle n’a pas encore été aryanisée : « Elle est entièrement la propriété de juifs[19] », constate à cette date un compte rendu de la Rü-In.

La reprise étant acquise, qu’allaient donc produire les entreprises ?

            Production civile ou matériel de guerre : un faux dilemme ?

Même avec le précieux concours des autorités françaises, la remise en route de l’économie constituait une tâche immense, d’autant plus que les services allemands étaient en sous-effectif chronique. Les autorités d’occupation considéraient l’industrie automobile comme prioritaire pour leur effort de guerre. Ce secteur présentait l’avantage de fournir des véhicules à la Wehrmacht, mais aussi de travailler pour l’aéronautique et de produire des engins blindés. Or le Reich avait besoin de ce matériel, une partie de ses chars ayant été usée ou détruite pendant le « Blitz ».  Le 20 juin, à Berlin, le général Karl Zuckertort fit le point sur l’état des fabrications des Panzers III et IV. Il réalisa une projection pour les mois suivants et consigna les nombreux goulots d’étranglement qui handicapaient la production allemande (main-d’œuvre, pièces forgées, roulements à bille, etc.)[20]. La défaite de la France constituait à cet égard une manne inespérée : l’industrie de l’Hexagone pouvait réparer le matériel de l’armée française, qui venait d’être saisi par la Wehrmacht, et fabriquer des pièces détachées, délestant ainsi l’économie du Reich qui travaillait à flux tendu. Adolf Hitler avait interdit la production de matériel de guerre neuf en France, décision qui se traduisit par le décret-loi de Vichy du 9 juillet, puis par la loi du 15 octobre 1940. Mais cette position allait connaître des adaptations et une réelle évolution au cours de la première année d’Occupation.

Tout au long du mois de juillet, les constructeurs français furent sollicités de manière pressante par les Allemands pour réparer ou fabriquer du matériel blindé. Ou bien ils refusaient et risquaient de se voir remplacer par des administrateurs provisoires, comme le prévoyait déjà l’ordonnance allemande du 20 mai 1940, ou ils acceptaient et fournissaient ainsi des moyens offensifs à l’ennemi, dilemme qui n’avait pas échappé aux autorités de Vichy. De leur côté, les Allemands possédaient de très nombreux moyens de pression. Ils surent jouer notamment du partage de la France en différentes zones – la plupart des entreprises ayant été coupée de leurs sources d’approvisionnement. C’était le cas de Renault dont l’aciérie d’Hagondage se trouvait désormais sous le contrôle du groupe Röchling en Moselle annexée. Pour les mêmes raisons, Bugatti avait dû quitter son fief de Molsheim tandis que l’outillage de son usine aéronautique de Bordeaux était confisqué et expédié par les Allemands en Alsace[21]. La situation était très délicate pour les entreprises dont les usines principales se trouvaient en zone non-occupée comme Berliet et Michelin, totalement coupées de leurs sources d’approvisionnement, ce qui conduisit ces industriels à démarcher directement les autorités d’occupation.

Certes, les Allemands avaient multiplié les discours rassurants sur l’utilisation « pacifique » de l’industrie – comme le fit Max Thoennissen devant les constructeurs automobiles à la Chambre des députés, le 16 juillet. Les industriels avaient reçu l’autorisation de reprendre quelques fabrications, militaires et civiles, de quoi rouvrir les entreprises et employer des centaines d’ouvriers alors que des milliers de chômeurs se pressaient aux portes des usines. De leur côté, les constructeurs faisaient des efforts pour occuper une partie de leur personnel à des tâches non productives, parfois avec l’appui de l’État français, mais une telle situation ne pouvait durer. Les autorités d’occupation redoutaient par ailleurs une insurrection sociale et surestimaient le pouvoir d’action du PCF dont le gouvernement Daladier avait partiellement brisé les reins pendant la drôle de guerre. A cette crainte se mêlait l’obsession raciale. La Rü-In souligna ainsi dans un compte rendu à Berlin « le manque de fiabilité de la classe ouvrière de Renault, qui est très agitée et très mélangée au niveau des races[22]. »

L’étau se resserra dès le 5 juillet, quand des spécialistes des chars et des industriels impliqués dans cette fabrication – le conseiller d’ambassade Sieburg, le général Karl Zuckertort, le directeur de Daimler-Benz von Hentig, qui intervenait également en tant que commissaire de Renault, et enfin le directeur de la BAMAG[23], Wilhelm von Laroche, prirent contact avec la Rü-In de Paris. Ils constatèrent que la production de poids lourds démarrait lentement, mais que celle des véhicules blindés était toujours à l’arrêt[24]. Il fut donc décidé que des commissaires spécialement chargés de cette fabrication seraient affectés aux principaux établissements français concernés : Schneider, SOMUA, Panhard, Hotchkiss, Renault et enfin l’atelier nationalisé d’Issy-les-Moulineaux (AMX).

En raison de son importance, la société Schneider fut jugée prioritaire par les Allemands. D’après le journal de guerre de la Rü-In, daté de la première semaine de juillet 1940, le seul représentant de l’entreprise alors présent à Paris se montra complaisant à l’égard des demandes de l’occupant : « Les entretiens avec le directeur général de la société Schneider-Creusot, Monsieur Vicaire, étaient au premier plan. D’une manière générale, ces entretiens se sont déroulés d’une façon très prometteuse. Monsieur Vicaire s’est montré accessible aux souhaits allemands ». De même, Hyppolyte-Eugène Boyer, directeur général de Hotchkiss, « a rendu visite à la Rü-In de Paris [6 juillet] où il « a exprimé sa disposition pour une collaboration avec l’Allemagne (…) Le directeur tentera de se procurer les dessins techniques de réservoirs qui avaient été mis de côté, dans l’intérêt d’une prochaine reprise du travail de ses ouvriers. » Le Journal de guerre allemand note en revanche : « On se heurte à des difficultés dans la coopération avec Renault. »

A cette époque, Louis Renault venait à peine de rentrer en France et se trouvait encore en zone non-occupée. En attendant son retour, les négociations étaient menées par René de Peyrecave, François Lehideux et le directeur commercial, Albert Grandjean, qui parlait l’allemand. Le journal de guerre note à la date du 9 juillet : « Les directeurs français de Renault partent du point de vue que, conformément aux négociations de la Commission d’armistice, les sociétés françaises ne sont pas obligées de fabriquer du matériel de guerre qui pourrait être utilisé contre l’Angleterre. [25] »

Le 17 juillet, Léon Noël convoque plusieurs constructeurs automobiles à l’hôtel Matignon et leur renouvelle « les instructions de faire tourner les usines en acceptant les commandes allemandes, sauf pour les fabrications spéciales telles que : armes et chars, pour lesquelles il demandait qu’on lui en réfère spécialement.[26] » Sans doute influencé par la position de Renault et le discours du représentant de Vichy, le directeur des établissements Hotchkiss, Hippolyte-Eugène Boyer, manifeste, le même jour, « des états d’âme au sujet de toute nouvelle fabrication de véhicules de combat et de véhicules de traction français ».

En fait, SOMUA et Hotchkiss ont déjà commencé à réparer du matériel de guerre pour la Wehrmacht : trois contrats sont ainsi passés avec SOMUA le 12 juillet pour la maintenance et la remise en état de véhicules de combat blindés S-35 et 15 véhicules de traction avec système de grue. Le 22 juillet, un autre contrat est passé avec Hotchkiss pour la maintenance et la remise en état de trois véhicules blindés du même type[27]. Les Allemands notent le 13 juillet : « Après s’être concerté avec l’ambassadeur Noël, Monsieur Boyer, directeur général adjoint de la société Hotchkiss, déclare qu’il mettra en œuvre les commandes allemandes de façon loyale et irréprochable. » Et le lendemain : « La finition de la fabrication des 7 véhicules de combat de 12 tonnes disponibles démarre demain dans la société Hotchkiss, avec pour l’instant 25 ouvriers français. » Le 14 juillet, la Rü-In est informée par Berlin que le matériel blindé est désormais placé en première priorité des fabrications, avant la Luftwaffe.

Louis Renault rentre à Paris le 23 juillet au soir. Quelques heures plus tôt, il écrit une lettre à François Lehideux, avec lequel il est en conflit depuis les années 1936-1937, pour lui ôter toutes ses responsabilités au sein de l’entreprise. Cette décision allait jouer un rôle déterminant dans la suite des événements. Le lendemain, l’industriel rencontre le commissaire Sieburg qui lui demande de réparer des chars français saisis par la Wehrmacht : Renault refuse. Le Journal de guerre de la Rü-In précise à la date du 26 juillet : « Le Général Zuckertort veut balayer les difficultés occasionnées par Monsieur Renault au sujet de la réparation de blindés en mettant M. Renault face à la décision suivante : soit il consent à réparer sans opposition et sous régie française les blindés à Paris, soit il court le risque que la régie allemande s’en occupe elle-même et organise ainsi les attributions de charbon, d’électricité, etc., uniquement pour les besoins allemands. »

Le 28 juillet, les autorités d’occupation font le point sur les négociations et remarquent : « Le directeur de Renault, Grandjean, a justifié son refus par le fait que le gouvernement français est en train de préparer une loi selon laquelle la fabrication d’engins de guerre n’est pas autorisée. Sous l’influence de Renault et de Levassor, la position jusqu’à présent bienveillante des sociétés Hotchkiss et SOMUA s’est durcie (…) Tous les moyens à disposition doivent être utilisés pour briser ces résistances ». Les réglementations sur la gestion de l’économie et la gestion des entreprises « offrent la possibilité de punir les dirigeants d’entreprises récalcitrants et n’excluent pas que l’on puisse les remplacer par des commissaires administrateurs, sans préjudice d’autres mesures.[28] »

Louis Renault est convoqué par le général allemand, le 31 juillet mais il continue de se retrancher derrière une décision du gouvernement français. Dès lors, les choses se précipitent : le 1er août, l’industriel est à nouveau convoqué par le général Zuckertort qui, cette fois, lui remet un ultimatum. Un texte identique est adressé à Panhard qui cède le lendemain. En revanche, Louis Renault temporise : il propose de réparer des chars dans les usines du Mans sous réserve d’un accord du gouvernement français et réclame un délai de dix jours pour donner une réponse. Après une entrevue avec l’ambassadeur Noël, il se met en retrait des négociations, décline la convocation des autorités supérieures allemandes et laisse ces dernières négocier un compromis avec François Lehideux et le baron Petiet, président de la Chambre syndicale des constructeurs d’automobile, le 4 août, à l’hôtel Majestic : les réparations de chars français seront effectuées directement par les Allemands dans deux ateliers réquisitionnés, situés en périphérie de l’usine.

Mais entretemps, François Lehideux a fait circuler une pétition dans l’entreprise insinuant que son oncle par alliance avait cédé à l’occupant. C’est cette accusation mensongère, riposte à la décision que le constructeur avait prise de se débarrasser de son neveu, qui pesa très lourdement en 1944 contre Louis Renault, d’autant plus que Lehideux en fit part dès l’été 1940 à Léon Noël et à Alexandre Parodi, alors fonctionnaire de Vichy, et futur ministre du Travail à la Libération. Quand, en 1951, l’administration fiscale fit des recherches dans les archives judiciaires pour essayer d’établir la responsabilité de Louis Renault au début de l’Occupation, elle découvrit que l’ensemble de l’accusation concernant la prise de contact personnelle reposait uniquement sur deux dépositions faites à la Libération par l’ancien ministre de Vichy, François Lehideux[29] !

Au moment des faits, la vision des Allemands était très différente. Le général Franz Barckhausen, qui dirigeait l’État-major de l’économie de la défense et de l’armement en France, déclara ainsi le 6 août 1940 devant tous les officiers responsables de la Rü-In :

« En ce qui concerne le cas de Renault et Panhard, je m’en suis entretenu avec le général Thomas et le général Hünermann[30]. Les deux sont de l’avis que les sociétés ne peuvent pas refuser d’effectuer pour nous des travaux de remise en état en se basant uniquement sur les négociations en cours à Wiesbaden. Nous pouvons absolument exiger cela. Sur ce, Panhard s’est montré coopérant. Renault persiste dans son refus.[31] »

Cette attitude contraste avec celle des dirigeants de Schneider. Le Journal de guerre de la Rü-In précise en effet à la date du 5 août :

« Le directeur Beckhäuser de la société Wagner de Dortmund nous informe ce jour qu’il s’apprête à conclure un contrat avec Schneider-Le Creusot pour la production de pièces pressées lourdes destinées à des bombes lourdes d’aviation.

« Malgré le fait qu’un spécialiste considérerait sans conteste ces commandes comme un contrat d’armement, le directeur Vicaire de Schneider-Le Creusot n’a pas d’états d’âme pour l’acceptation de ce contrat.

« Ce qui semble déterminant pour le directeur Vicaire, c’est que ce contrat d’armement ne soit pas identifiable en tant que tel par la majorité de son personnel [souligné par nous].[32] »

Le rapport du 1er août concernant Eugène Schneider stipulait déjà :

« Le directeur d’entreprise Monsieur Schneider de la société Schneider-Le Creusot a fait part à la Rü-In de son obligeance pour travailler avec l’Allemagne dans l’intérêt des 11 000 anciens employés faisant parti de son personnel (…)

« Pour les commandes de matériels de guerre, il demande que les oppositions et les résistances soient balayées par l’intermédiaire du gouvernement français.

« Il prétend disposer de suffisamment de charbon, de ferraille et de fer pour produire en continu.[33] »

Et le 24 août, les Allemands constate que les « relations avec la société Schneider – Paris et Le Creusot – se développent tellement bien que le gendre de Schneider [Pierre de Cossé, duc de Brissac, ndr] a été libéré » et « placé en tant que directeur de la société Le Matériel électrique » à Champagne-sur-Seine qui travaille pour la Wehrmacht »[34].

Cette attitude face aux commandes d’armement allemandes, au début de l’Occupation, est exceptionnelle. La situation de l’industrie au cours de l’été 1940 ne reflète d’ailleurs en rien celles des périodes suivantes, que ce soit en matière d’effectifs, d’organisation et d’horaires de travail ou d’attitude patronale. Rappelons à ce sujet que le directeur du Creusot, Henri Stroh, fut déporté à Buchenwald. A cela s’ajoutent des facteurs qui n’existent pas au cours de la reprise comme les bombardements alliés, les prélèvements de main-d’œuvre, les sabotages de la Résistance ou l’aryanisation des entreprises. Nous sommes dans une perspective de victoire durable du IIIème Reich : la bataille d’Angleterre est loin d’être terminée ; ni les États-Unis ni l’URSS ne sont entrés en guère.

A la fin du mois d’août 1940, les Français apprennent que l’industrie automobile sera soumise à un programme fixé à Berlin dans le cadre du plan de quatre ans. Les offices centraux de placement des commandes allemandes (ZAST) sont créés le 26 août dans l’Europe occupée (Paris, Bruxelles, La Haye) et leur mission définie le 15 septembre. Les commandes civiles sont déjà strictement contingentées ou tout simplement interdites. Du côté de Vichy, l’organisation de l’économie dirigée est également en formation : le service des commandes allemandes (SCA) de l’ingénieur général Jean Herck est créé le 24 août 1940, le COA le 30 septembre (dirigé par François Lehideux, le lendemain) et l’Office central de répartition des produits industriels (OCRPI) de Jean Bichelonne, à partir de janvier 1941. Avant même que cette organisation administrative ne soit effective, la marge de manœuvre des industriels est ténue d’autant que les Allemands décident de chaque élément important de la vie des entreprises : type de matériel à fabriquer et volume des commandes, salaires et horaires de travail, fourniture d’énergie et de matières premières, mesures de sécurité et permis de circuler… Certes, Jacques Kellner parvient à fabriquer des meubles destinés à la Wehrmacht pour éviter les fabrications aéronautiques et automobiles, tandis que la société des avions Kellner-Bechereau, repliée en grande partie à Alençon, ne livre pratiquement que le secteur français[35]. Mais cette politique de reconversion, envisageable pour de petites entreprises – la première emploie en moyenne 27 personnes sous l’Occupation – ne l’est pas pour des géants industriels comme Renault, Peugeot et Citroën dont l’effectif moyen oscille entre 10 et 20 000 personnes. Si les constructeurs parviennent à décliner certaines commandes en motivant de manière détaillée leur refus – n’oublions pas qu’ils s’adressent à des ingénieurs allemands qui connaissent parfaitement le procédé industriel et contrôlent tous les mouvements de l’entreprise – il leur est difficile d’éluder la fabrication de matériel automobile pour la Wehrmacht, parfois même celle de « fabrications spéciales » comme les munitions et les pièces détachées de matériel d’armement. Sous quelles conditions, à quel moment et dans quelle ampleur l’ont-ils fait ? Avaient-ils des alternatives ? C’est cette marge de manœuvre que les comités d’épuration, la Justice et l’administration fiscale tenteront d’évaluer à la Libération[36].

[1] Malgré l’apport d’études de qualité telles que : Talbot C. Imlay, Martin Horn, The Politics of industrial collaboration during Wolrd War II : Ford France, Vichy and Nazi Germany, Cambridge University Press, 2014. Voir également les travaux de Patrick Fridenson que nous ne pouvons malheureusement citer ici.

[2] Abel Chatelain, « L’industrie automobile française », Revue de géographie de Lyon, 1950, 25/2, p. 106-112.

[3] Sauf les Berliet. Recours en grâce et arrêts de la Chambre des mises en accusation du 27 juin 1946. Ministère public c/Berliet. ADR W 225.

[4] Rapport de l’inspecteur principal Blangonnet, chef du Service des vérifications nationales, 3 septembre 1956, 67 p. ADP ancienne cote Perotin 3314/71/1/ 15 dossier 211.

[5] Mémoire pour la Régie nationale des usines Renault, signé Pierre Dreyfus, 6 janvier 1958. ADP ancienne cote Perotin 3314/71/1/ 16 dossier 211.

[6] Geschichte der Rüstungsinspektion Paris (vom 20.6 – 30.9.40). BA-MA RW24/58. Sur ces questions, voir également Arne Radtke-Delacor, « Produire pour le Reich. Les commandes allemandes à l’industrie française (1940-1944) », Vingtième Siècle, 2001/2 (n° 70), p. 99-115.

[7] Rü-In Frankreich. Kriegsgeschichte VIII-IX 42. F/Id. BA-MA RW24/27.

[8] Fernschreiben Heereswaffenamt N° 13247 vom 28.08. BA-MA RW/19/5088.

[9] SA des anciens Ets Hotchkiss, A. Roth, à M. L’inspecteur de la Rüstungsinspektion A, 20 août 1941. Ministère public c/Hotchkiss. AN Z/6NL/680 f° 51/1.

[10] Complément d’enquête… Ministère public c/Peugeot. AN Z/6NL/80, f° 417, p. 2.

[11] Pour tout ce qui concerne Renault, voir Laurent Dingli, Louis Renault, Paris, Flammarion, p. 379 sq.

[12] Exposé des faits. Ministère public c/Delaunay-Belleville. AN Z/6NL/238. Ministère public c/Delahaye. AN Z/6NL/750. Idem. Ministère public c/Chausson. AN Z/6NL/589.

[13] Déposition de Jean Faure, 28 novembre 1945. Ministère public c/Berliet. ADR 394 W 222 f° 260.

[14] Dépositions de Louis Pasquier et Maurice Abril, 22 juin 1948. Ministère public c/Willème. AN Z/6NL/731 f° 466. Panhard & Levassor à M. le préfet de la Seine – Service des renseignements économiques. A l’attention de M. Reverdy, 2 septembre 1940. ADP. Perotin 6096/70/1 676.

[15] Déposition de Gaston Chausson, 27 février 1948. Ministère public c/Chausson. AN Z/6NL/589 f° 431.

[16] Laurent Dingli, Louis Renault, op. cit.

[17] Léon Noël au préfet de la Gironde, 24 juillet 1940 et Note (jointe) d’information pour les groupements professionnels. ADG 45 W 1.

[18] Tätigkeitsbericht gewerbliche Wirtschaft. BA-MA RW35-726.

[19] Rüstungsinspektion Paris. Z/Ia. Paris, 20.7.1940. Lagebericht. BA-MA RW24/55.

[20] Aktennotiz. Berlin, den 20.6.40. Betrifft: Panzerwagen – Fertigung. – BA-MA RW24/577

[21] Dossier Bugatti – ADG 45 W 1.

[22] Doc. cit. BA-MA RW24/54.

[23] Berlin-Anhaltische Maschinenbau Aktiengesellschaft (BAMAG)

[24] Kriegstagebuch de Rüstungsinspektion Paris. Begonnen 20.6.40. BA-MA RW24/54.

[25] Sauf mention contraire, toutes les citations sont tirées du Kriegstagebuch, doc. cit. BA-MA RW/24/54.

[26] Rapport d’expertise de Bernard Fougeray, p. 46. Ministère public c/x (Delahaye). AN Z/6NL/750 f° 9.

[27] Rüstungsinspektion Paris. Z/Ia. Paris, 20.7.1940. Lagebericht. – BA-MA RW24/55.

[28] Kriegstagebuch Wehrwirtschafts-und Rüstungsstab Frankreich. 4.6.40 – 31.12.40. – BA-MA RW24/2.

[29] Jean Prouhèze à M. le secrétaire du 1er comité, 30 novembre 1951. ADP ancienne cote Perotin 3314/71/1/ 15 dossier 211.

[30] Georg Thomas (1890-1946) et Rudolf Hünermann (1895-1955), respectivement chef et chef d’état-major du Service de l’économie et de l’armement (Wehrwirtschafts-und-Rüstungsamt) depuis 1939. Lexikon der Wehrmacht.

[31] Besprechung der Inspekteure am 6.8.40 beim Wi Rü Stab Frankreich. BA-MA RW24/2.

[32] Kriegstagebuch de Rüstungsinspektion Paris. Begonnen 20.6.40. BA-MA RW24/54.

[33] Idem.

[34] Idem.

[35] Ministère public c/Kellner-Bechereau. AN Z/6NL/757.

[36] Cet article s’inspire d’un travail en préparation, Laurent Dingli, Jacky Ehrhardt, L’Industrie en guerre (1936-1947).

Pour se procurer le n° 7 de L’Aventure automobile, Mai-juin-Juillet 2019, voir la page dédiée des Éditions Heimdal

“La saga de Billancourt”, Hors-série – L’Automobile. Mythes, culture et société – La Revue des deux Mondes

La saga de Billancourt

Du char de la victoire de 1918 au succès de la 4 CV, des grèves du Front populaire à la “révolution” de mai 1968, peu d’entreprises incarnent autant que Renault les grands mouvements de l’histoire industrielle, politique et sociale de la France contemporaine (…)

Disponible en kiosques, librairies (et sur internet) à partir du 5 décembre 2018. Voir le site de la Revue des Deux Mondes

Note de lecture, par Jean-François de Andria, Renault Histoire n° 43, octobre 2018

Entreprises dans la tourmente, Renault, Peugeot 1936-1940

Laurent Dingli – Presses universitaires – Perspectives historiques

350 pages

Laurent Dingli, bien connu de nos lecteurs, aborde aujourd’hui dans cet ouvrage de 350 pages une des périodes les plus délicates de l’histoire de Renault. Pour montrer en quoi les circonstances commandaient les attitudes des entreprises et de leurs dirigeants, sans avoir accès à leurs archives, il a inclus dans son analyse Peugeot pour qui les sources externes sont cependant moins muettes que pour Citroën.

En passant, cet ouvrage répond dans le détail aux critiques, souvent violentes, qui ont été adressées avant et juste après la guerre à Renault — l’homme ou l’entreprise, les deux étant dans l’esprit du public inséparables à l’époque . Le premier a été accusé au mieux de manque d’engagement en faveur de la défense nationale et au pire de souhaiter in petto la victoire de l’Allemagne, l’autre de ne produire qu’au compte-gouttes des matériels vitaux, en particulier des chars.

Après la Grande Guerre, Renault connait une pénible adaptation aux nouvelles conditions du marché, avec l’annulation brutale des commandes militaires, la concurrence des stocks constitués et même des produits américains importés. Les effectifs passent par un point bas en 1920 avant que l’activité reprenne en 1922. Mais la Grande Crise va de nouveau affecter les ventes, moins pour Renault, plus diversifié, que pour ses concurrents. Les tensions sociales s’aggravent avec la baisse des salaires et l’accroissement du chômage. Lorsqu’arrive au pouvoir le Front populaire, les salariés veulent obtenir sans délai par la grève (mai-juin 1936) ce que les nouveaux élus avaient fait entrevoir. Mais hausse soudaine des salaires, réduction des horaires et congés payés octroyés simultanément, vont générer une inflation qui gommera une bonne partie des acquis. Le PCF et la CGT renforcés s’affronteront durement avec l‘extrême droite. Les usines d’armement seront en grande partie nationalisées à la hâte sans grande cohérence. Renault conserve une importante activité dans l’usinage et le montage des chars, et sa filiale aéronautique Caudron reste privatisée. Malgré quelques pauses brèves et les aménagements tentés par les dirigeants, le calme social ne revient pas et des heurts se produisent. Les revendications qui portent maintenant sur les cadences et sur l’interprétation des lois récentes (conventions collectives) se manifestent souvent par un freinage de la production, y compris dans les usines d’armement. Bref, l’industrie toute entière, mal remise de la Grande Guerre, est de nouveau déstabilisée alors que la France doit réarmer face à un danger nazi devenu patent.

Quand Daladier succède au gouvernement Blum (1938), des dérogations peuvent être accordées aux entrepreneurs – heures supplémentaires au-delà des 40 heures à taux plus élevé, conditions drastiques mises aux embauches — et elles introduisent des différences entre entreprises, voire dans un groupe entre les ateliers travaillant pour la défense nationale et les autres. La base était souvent plus rigide que les délégués syndicaux, eux-mêmes pourtant vigilants, n’acceptant pas la moindre dérogation tant qu’il y avait localement du chômage. Soit en raison des 40 heures, certains ateliers ne peuvent répondre à la demande et développer tout leur potentiel, soit en raison de manque d’outillage, de personnel spécialisé ou d’approvisionnement. Louis Renault avait eu tendance à se consacrer aux études et à laisser MM. François Lehideux et René de Peyrecave gérer les affaires courantes. Le premier avait alors favorisé l’implantation dans l’entreprise des formations de droite et d’extrême-droite. Lorsque des difficultés de trésorerie se firent jour en 1937[1], il préconisa de recourir à l’emprunt, en contradiction flagrante avec les vues bien connues de son oncle par alliance qui préféra un plan classique d’économies. Dans le climat de tension consécutif aux accords de Munich, une grève avec occupation de l’usine eut pour prétexte le passage d’un atelier à quarante-huit heures hebdomadaires. François Lehideux décida un lock-out. La police procéda à 290 interpellations pour rébellion, mais la cour d’appel annula les condamnations. Plusieurs milliers d’ouvriers , dont les meneurs, ne furent pas réembauchés, et l’occupation des locaux ayant provoqué d’importants dégâts, la SAUR porta plainte contre 33 meneurs, dont 19 ont été condamnés à des peines légères. Un certain calme et une amélioration du rendement s’ensuivirent, tandis que les effectifs du PCF dans l’entreprise passaient de 6 500 avant la grève à 3 500 en août 39. On peut dater de cette époque le moment où « Billancourt devint le pouls social de la nation ».

Excédé par ses abus d’autorité et par son management déficient des fabrications[2], Louis Renault finit en octobre 1939 par écarter François Lehideux de la direction de l’entreprise et le cantonna dans la gestion financière.

La déclaration de guerre déclencha un plan de mobilisation qui perturba la production comme en 1914-1918 et au moment de Munich : Les effectifs des usines Renault – 32 500 personnes — ont été réduits de 46 % dans les premiers jours du conflit. Le 21 septembre, ils n’étaient encore que de 17 200. En outre, les mesures compensatoires – augmentation des horaires de travail et réduction des congés – généraient un fort absentéisme (15 % en janvier et février 1940). Les professionnels, les moins substituables et les plus recherchés par les autres usines travaillant pour la défense, manquèrent au point que certaine machines, une autre denrée rare, furent sous-employées.

Les usines publiques étaient en principe privilégiées dans l’attribution de dispenses. Pour “aider” Renault, Raoul Dautry, ministre de l’armement désigna Charles Rochette (ex-directeur général de la filiale tchèque de Schneider, maintenant sans emploi) pour faciliter, et aussi contrôler, la réalisation des commandes d’armement[3]. En fait, celles-ci se heurtaient à de multiples difficultés, auprès d’une part des militaires qui modifiaient leurs commandes et qui, faute d’une programmation à moyen/long terme, n’avaient qu’un horizon limité[4], et d’autre part des administrations qui, tatillonnes, dispersées et mal coordonnées, avaient à alimenter les entreprises en candidatures, à organiser la formation professionnelle, à répartir les matières premières et à définir les priorités chez les fournisseurs, alors que les uns et les autres méconnaissent gravement les contraintes et les délais industriels et faisaient preuve d’un esprit de chapelle paralysant. Ces difficultés, répétées à tous les niveaux de la chaine d’approvisionnement, généraient des perturbations en cascade[5]. La législation fiscale, les règles d’amortissement et de fixation des prix en vigueur à partir de 1938 étaient particulièrement rigoureuses, et dissuadaient plutôt les constructeurs de prendre des risques. Raoul Dautry ne tarda pas à se rendre compte de ces obstacles, comme en témoigne sa lettre à Édouard Daladier le 1er janvier 1940[6]. Par ailleurs, les matériels français, du fait d’un niveau d’exigence très élevé et d’une culture générale peu industrielle des “clients”, étaient complexes et difficiles à fabriquer : Il fallait 2,5 fois le montant d’heures consacrées à la fabrication d’un avion allemand pour construire un avion français. De même les chars B1Bis étaient particulièrement sophistiqués.

Last but not least, des prélèvements ont été effectués sur les parcs de chars au profit de pays qui n’interviendront pas lors de la campagne de France (Yougoslavie, Roumanie, Turquie).

Dans ce contexte, Louis Renault, comme les Peugeot, se débattait pour surmonter les obstacles. Il avait joué le jeu lors de la nationalisation des fabrications de chars en 1936 et, à la différence de ses concurrents notamment Peugeot, Renault cessa immédiatement et complètement de fabriquer des voitures particulières dès la déclaration de guerre. Mais de mauvaises langues, et en premier lieu François Lehideux, très tôt appelé auprès de Dautry, le taxèrent de mauvaise volonté en faisant circuler attaques et fausses nouvelles.

La place nous manque pour évoquer les dernières parties de l’ouvrage qui traitent de sujets variés, tels que les productions respectives de Renault et Peugeot, cycles compris, l’aéronautique, principalement des avions Caudron-Renault, dont les livraisons environ 1 200 avions de 1938 à fin mai 1940[7], furent « conformes aux programmes », tandis que Peugeot ne parvenait pas à honorer sa commande de moteurs , faute en particulier de machines ; les « ressources propres aux grands groupes » pour pallier certaines pénuries ou pour répondre rapidement aux demandes nouvelles des armées ; les conditions de travail « harassantes et dangereuses »  ; les dispositions prises en matière de décentralisation, plus importantes chez Peugeot dont les usines franc-comtoises paraissaient plus menacées. Le tout dernier chapitre décrit les derniers efforts désespérés pour rééquiper les combattants, la mission consciencieuse mais inutile de Louis Renault aux États-Unis pour y aiguillonner la production de chars, l’évacuation ordonnée des ateliers de Billancourt vers Orléans puis au-delà.

***

Un front populaire qui réalisa trop brutalement des réformes que le patronat n’avait pas su mener en temps utile, des classes laborieuses qui voulurent cueillir sans délai les fruits de la victoire électorale, des antagonismes entre groupes sociaux exacerbés jusqu’à ralentir délibérément la production, voire la saboter, des ministères légiférant sans vue d’ensemble, une mobilisation menée sans discernement, des administrations qui continuaient de travailler à leur rythme, un état-major ancré dans ses conceptions dépassées, les acteurs ignorant généralement les techniques de planification et d’optimisation… la défaite de 1940 n’eut rien d’étrange, même si certains, notamment parmi les combattants, accomplirent tardivement des prouesses.

La documentation de cet ouvrage est dense et souvent inédite. Laurent Dingli parvient à la rendre intelligible, en particulier en passant au crible les “informations” relayées par François Lehideux, trop personnellement impliqué pour être objectif. La recherche d’éléments complémentaires lui a permis d’apporter d’autres éclairages sur le comportement de Louis Renault tel que décrit par beaucoup d’historiens.

Mais l’ouvrage vaut surtout par le tableau qu’il dresse de l’interaction et des motifs d’action (ou d’inaction) des différentes parties prenantes. Les exemples de Louis Renault et des Peugeot, très engagés dans la réalisation de leurs programmes respectifs, ne sont sans doute pas représentatifs de l’attitude de l’ensemble du patronat français. Mais ils montrent à quel point était difficile la recherche d’un équilibre entre les exigences contradictoires des différents pouvoirs publics. Dans ces conditions, la recherche de boucs émissaires désigna naturellement ceux dont les responsabilités étaient les plus larges et dont des indices – la nomination par l’État d’un contrôleur par exemple – laissaient entendre un certain manque de conviction.

 

[1] Les craintes de la clientèle devant les 40 heures et la dévaluation avaient dopé les ventes, d’où un contrecoup. En même temps, les décrets sur la coordination rail-route entrainèrent une baisse du marché des véhicules industriels.

[2] François Lehideux, sorti de Sciences Po avait une formation de management, mais n’avait pas,; comme L. Renault, une connaissance intime de l’industrie.

[3] Cher monsieur Renault,

J’ai traduit notre volonté commune dans la décision que je viens de prendre. M. Rochette est chargé de mission auprès de vous. Il vous apportera mon appui entier pour l’augmentation de la production de vos usines aux mieux de la défense nationale et des intérêts de l’économie française. Lettre de Raoul Dautry à Louis Renault du 18 novembre 1939.

Bien amicalement vôtre. Entreprises dans la tourmente p 162

[4] Deux exercices avant la déclaration de guerre

[5] Renault dut parfois se substituer à des sous-traitants dans l’incapacité de faire face aux demandes qui leur étaient adressées. Il n’avait pas accès à certains producteurs étrangers dont l’accès était réservé à d’autres industriels (publics).

[6] « À quelles difficultés nous sommes-nous donc heurtés ?

À des difficultés de tous ordres, assurément : des méthodes bureaucratiques, invraisemblablement compliquées et lentes, une méconnaissance incroyable des nécessités de la guerre, des formalités innombrables qui, pour des industriels, absorbent sans profit une énergie et un temps ainsi dérobés à la production. Le régime des avances est un dédale ; les paiements sont lents ; les prix ne sont pas fixés ; et je suis, chaque jour, personnellement alerté pour éviter l’arrêt de quelque entreprise travaillant pour la défense nationale et qui, faute de matières, de personnel ou d’argent, c’est-à-dire faute de la décision nécessaire d’un seul peut-être des innombrables services qu’on trouve aujourd’hui dans tout circuit administratif, est sur le point de fermer ses portes.

Mais pour graves qu’elles soient, ces difficultés restent mineures face au problème de la main d’œuvre […]. Où trouvera-t-on cette main d’œuvre  Les chômeurs, ils sont en majorité inaptes à tout travail, comme l’a montré l’examen précis fait par le ministre du travail à Paris pour les établissements Renault et à Marseille pour la poudrerie de Saint-Chamas. » op. cit. p. 206

[7] Quelques lignes sont consacrées au chasseur C-714 qui « donna lieu à une véritable gabegie ». Commandé à une centaine d’exemplaires, malgré une vitesse ascensionnelle bien trop faible, faute d’un moteur (Renault) assez puissant pour affronter les appareils allemands, il fut affecté à une unité polonaise, en pratique sacrifiée.

Laurent Dingli, Entreprises dans la tourmente, par Gilles Legroux, La Cliothèque, 31 août 2018

Laurent Dingli

Entreprises dans la tourmente: Renault, Peugeot (1936-1940)

Presses universitaires François Rabelais de Tours, 2018, 26 euros.

« Les entreprises françaises furent confrontées à trois grands défis au cours de cette période: les conséquences de la crise économique et financière mondiale qui débuta aux États-Unis en octobre 1929; les réformes imposées par les grèves et le Front populaire à partir de 1936; enfin, les exigences croissantes de la défense nationale, du milieu des années 30 à la défaite de juin 1940 ».
L. Dingli, Entreprises dans la tourmente, p. 34.

Les années 1936-1940 précédant les années noires de l’Occupation furent une période tourmentée. Dans son dernier ouvrage, Entreprises dans la tourmente, Laurent Dingli nous propose une étude de ces 4 années – du Front populaire à la débâcle de juin 40- à travers le prisme de l’analyse croisée des deux plus grandes entreprises industrielles françaises de l’automobile, Renault et Peugeot. Loin de se réduire à une histoire économique et industrielle qui pourrait rebuter le lecteur peu au fait de ces questions, l’étude de Renault et de Peugeot a évidemment une dimension sociale et politique du fait de l’importance de la population ouvrière employée par les deux constructeurs dans le contexte des réformes du Front populaire. Les deux entreprises automobiles – comme le furent aussi Citroën ou Berliet- participaient depuis la première guerre mondiale à la défense nationale par leurs productions destinées à l’armée française. A un moment où la France doit répondre à la menace hitlérienne et doit réarmer pour rattraper son retard sur l’Allemagne, Renault et Peugeot se retrouvent ainsi au cœur des enjeux et des débats de la défense nationale, puis de la mobilisation industrielle pendant la “drôle de guerre”. Ainsi, c’est bien de la France à un moment crucial de son histoire dont nous entretient Laurent Dingli et c’est tout l’intérêt de son ouvrage. On le sait, les quatre années qui ont précédé la défaite de juin 40 sont l’objet depuis cette date d’intenses débats historiographiques et idéologiques dominés par la question des responsabilités de “l’étrange défaite”. Sans être le sujet du livre, cette question est abordée à plusieurs reprises par l’auteur (…)

Lire la suite sur le site de la Cliothèque

L’Aventure Automobile – L’histoire automobile du vingtième siècle n° 3, mai-juin-juillet 2018

Entreprise dans la tourmente – Renault, Peugeot 1936-1940

Laurent Dingli, docteur en histoire, auteur en 2000 d’un portrait très complet de Louis Renault, (Flammarion), animateur du formidable site consacré au fondateur de la marque de Billancourt (louisrenault.com), publie en ce début d’année 2018 une nouvelle et passionnante étude. Durant quatre années Renault et Peugeot vivent des événements politiques et sociaux qui bouleversent leurs fonctionnements traditionnels de constructeur automobile, et les efforts à la mobilisation en faveur de la défense nationale. Sur ce dernier point, l’auteur détaille d’une façon extrêmement précise et documentée les différents acteurs présents, la terrible impréparation des entreprises, d’ailleurs très aidée sur ce point par les atermoiements du gouvernement, ainsi que les décideurs militaires face aux forces du Reich de plus en plus menaçantes. C’est aussi l’occasion de rappeler une nouvelle fois que si François Lehideux encourage l’activisme prôné par le Parti Populaire Français de Jacques Doriot et le Parti Social Français de François de La Rocque au sein de l’île Seguin, Louis Renault (1877-1944) maintient une position de légaliste républicain, en condamnant vivement ce militantisme d’extrême droite prôné par son neveu par alliance. Par ailleurs, contrairement à une idée trop répandue, c’est bien la déficience des sous-traitants qui va freiner son désir de fabriquer toujours plus de matériels de combats, et non le désir de continuer la production des Novaquatre ! Laurent Dingli met également en scène deux personnages importants pour le récit, Louis Renault, un pragmatique athée de Boulogne-Billancourt, et Jean-Pierre Peugeot (1896-1966) et ses proches, des luthériens provinciaux, qui forcément ne réagissent pas de la même façon dans une période aussi troublée. En lisant l’ouvrage on ressent, dans la narration des événements, une part plus conséquente consacrée au dossier Renault, mais cela ne doit pas être imputé à l’auteur. En effet, si les archives du constructeur au losange ont permis l’ouverture de 40 000 documents sur la période de l’Occupation, les responsables du Groupe PSA n’ont pas donné suite à cette demande sur les années 1939-1945, préférant la confier à quelques personnes travaillant avec le Fond de Dotation maison ! Par bonheur, Laurent Dingli a pu combler ce refus via d’autres archives, mais ce dernier ajoute non sans malice : “il s’agit manifestement d’une confusion entre histoire et communication d’entreprise”.

Entreprises dans la tourmente – Renault, Peugeot 1936-1940, Presses Universitaires François-Rabelais, Collection Perspectives historiques

 

Laurent Dingli, Entreprises dans la tourmente – Renault, Peugeot (1936-1940), PUFR, 2018

Présentation de l’éditeur : Mai 1936 – Juin 1940 : rarement l’industrie française aura traversé une période aussi tumultueuse qu’au cours des années qui séparent la victoire du Front populaire de ” l’étrange défaite “. Pendant ces quatre années, les entreprises vécurent au rythme haletant des conflits politiques et sociaux, de la modernisation des usines, des grèves et des impératifs de la défense nationale. A travers le cas de deux grandes sociétés automobiles – Renault et Peugeot –, cet ouvrage d’histoire sociale et industrielle évoque la manière dont les entreprises françaises ont tenté de s’adapter aux réformes de 1936 tout en forgeant l’outil industriel capable de riposter à une agression nazie.
En abordant l’évolution de la condition ouvrière, les grands mouvements sociaux, le défi des quarante heures, la production d’armement et l’organisation de l’industrie de guerre, Laurent Dingli retrace l’histoire des deux entreprises de l’avènement du Front populaire à la défaite militaire de juin 1940.

Laurent Dingli, Entreprises dans la tourmente – Renault, Peugeot (1936-1940), Presses universitaires François Rabelais, Tours, 2018

Erratum : p. 318, lire “des milliers d’ouvriers” et non pas des “dizaines de milliers d’ouvriers”. Laurent Dingli, 25 mars 2018. Dernière mise à jour : 25 mars 2018.

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