Marcel Bluwal, A droite toute

35979543_pUne grossière caricature, une œuvre dont le manichéisme ferait rougir un enfant de dix ans, une fiction qui confine à l‘exercice de propagande idéologique, tel est A droite toute, l’indigeste téléfilm réalisé par Marcel Bluwal, et diffusé hier soir sur France 3.

Depuis soixante ans, les camarades ou ci-devant camarades nous resservent inlassablement leur vision bipolaire du monde, vision qu’ils auront déclinée sur toutes les gammes : travaux pseudo-historiques, romans-alibi, documentaires partisans. En ce début de Vingt-et-unième siècle, on croyait en avoir fini avec ce matraquage simpliste, et bien non.

C’est dans cet arsenal qu’a puisé abondamment l’archonte Marcel Bluwal, le père de l‘excellente série Vidocq. Mais jugez plutôt de la subtilité des personnages : l’histoire met en scène François Salmon, un grand patron de l’automobile, bien évidemment d’extrême droite, bien évidemment anti-social, et bien évidemment prêt à détruire la République afin de lutter contre les généreuses réformes du Front Populaire. Pour ajouter à ce portrait si fin et si attachant, le misérable exploiteur du peuple se double d’un monstre familial qui cogne sa femme à coups de poing et qui, pour renflouer son entreprise au bord de la faillite et financer la Cagoule, n’hésite pas à exploiter l’une de ses filles jusqu’à la conduire au suicide… Ah ! Finesse quand tu nous tiens ! Ouvrez un numéro de l’Humanité stalinienne des années trente et vous aurez à peu près une idée du script concocté avant tant de subtilité par Marcel Bluwal et Jean-Claude Grumberg. C’est un recueil éculé de tous les lieux communs de la Vulgate communiste, du mythe de la revanche patronale contre le Front populaire, de l‘alliance objective des grands industriels avec le fascisme et autre complot des « deux cents famille ».

En face de cette brute perverse et sans conscience, véritable image de foire du patronat version marxiste-léniniste, Marcel Bluwal nous offre le personnage vivifiant du jeune, adorable et bon communiste : sorte de mélange fabuleux de l’intellectuel et de l’homme d’action, véritable incarnation de la complétude et du Bien. Après avoir entrepris de brillantes études, ce héros du Front Pop’ à la mode Bluwal va faire hardiment le coup de feu aux côtés des Républicains espagnols, revenant à Paris, auréolé de gloire et portant sur la figure l’air grave et satisfait de celui qui sait… Pour finir ce conte de fée communiste, le brave héros réussit l’agrégation et séduit la fille du patron, intervenant comme un cavalier blanc (ou plutôt rouge) afin d’arracher cette cendrillon du comité des Forges, cette causette du patronat, aux griffes du grand capital.

A droite toute de Marcel Bluwal est un peu à la pensée ce que la Grosse Bertha est à la canonnade, une sorte d‘énorme boulet rouge écrasant toute forme d‘ambiguïtés et de réflexion. (Comme l’on regrette l’intelligence et le talent de Claude Berri mettant en scène Uranus de Marcel Aymé).

Si ce n’était tragique, on aurait presque envie de rire quand la caméra de Bluwal fait un plan de quelques secondes si pudiques sur le portrait du camarade Staline, après avoir évacué d’une phrase l’évocation des purges staliniennes. Tous les crimes ne sont pas bons à évoquer avec la même vigueur.

Un seul personnage se détache pourtant de cette galerie de Carnaval, celui de l’écrivain d’extrême droite Le Quenne, librement inspiré du romancier Drieu La Rochelle. Malheureusement, cette heureuse fulgurance ne fait que souligner, par contraste, le simplisme de l‘ensemble.

A cela s’ajoute l’ignorance de l’auteur. A l’occasion d’une interview, les camarades de l’Huma lui demandent ainsi, le plus innocemment du monde bien sûr : qui est-ce Salmon, patron de l’automobile, qui fait penser à Louis Renault ? Personne, répond Marcel Bluwal, tout en affirmant que ledit Renault avait deux filles comme son personnage, sottise librement répétée par un plumitif de Rue 89 dans un autre article. (Louis Renault n’a jamais eu de filles, mais un fils). Bluwal ne s’est donc pas inspiré de la vie de Louis Renault ; mais son acteur principal, Bernard-Pierre Donnadieu, qui a interprété le rôle du très méchant patron terroriste et cogneur de femmes, affirme dans une autre interview qu’il s’était laissé poussé la barbe pour ressembler à Louis Renault (qui n’a jamais eu de barbe, pas plus que de filles d‘ailleurs).

A droite toute, de Marcel Bluwal restera comme une œuvre médiocre jalonnant la longue liste des règlements de compte idéologiques grimés en fiction et consacrés par quelques médias complaisants.

9 février 2009

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser, « Laurent Dingli, Marcel Bluwal, A droite toute », Le site de Laurent Dingli, février 2009.