Roman. Laurent Dingli revisite l’Histoire
Ecrire un roman historique, c’est un vrai travail de bénédictin. Dans son havre de Crozon (29), l’historien Laurent Dingli a écrit une véritable fresque sur la Révolution. Avec une intrigue prenant naissance au coeur du bagne de Brest et de son «troupeau humain mené à la férule».
Dans son registre, Laurent Dingli est lui aussi un forçat. Ses biographies de Robespierre ou Colbert pèsent 600 pages et son roman historique «Dans l’ombre des Lumières» n’échappe pas à la règle. À cette différence près que cette traversée de la fureur révolutionnaire repose sur une intrigue sortie de l’imagination pluriculturelle de ce Breton d’adoption, fils d’une mère italienne et d’un père anglais.
Entre argot et grandiloquence
À la lecture d’un tel roman-fleuve balayant la Révolution et les atrocités de la Terreur ou de la guerre de Vendée, on se demande par quel sortilège peuvent ressurgir du passé autant de personnages typés et de détails d’une précision aussi millimétrée. «C’est d’abord beaucoup de travail de recherche et d’écriture, indique l’historien. Je m’immerge tellement dans l’époque qu’il m’est arrivé de travailler jusqu’à 18 heures par jour. Et de me retrouver en charentaises sur la place de Crozon, la tête complètement ailleurs…». Sa biographie de Robespierre, sur laquelle il a travaillé quatre ans, a facilité la tâche pour ce roman historique en période révolutionnaire. «J’avais déjà beaucoup de matière. Mais pour reconstituer les faits, l’atmosphère, le langage de l’époque, il a fallu de multiples recherches et un peu de chance pour dénicher des documents rares. Comme ce dictionnaire de l’argot de la fin du XVIIIe siècle grâce auquel j’ai pu reconstituer le parler vrai du petit peuple de Paris, en contrepoint du langage grandiloquent, propre à la période révolutionnaire, qui caractérise mes autres personnages».
L’odeur, marqueur social
Le souci du détail, Laurent Dingli l’a poussé jusqu’à parcourir la capitale à pied et carte en main, pour essayer de reconstituer des rues disparues afin de mieux y recadrer l’action et l’atmosphère d’un Paris grouillant de vie et d’odeurs souvent fortes. L’historien a pris plaisir à tenter de les ressusciter, tant les effluves marquent une époque. «Aujourd’hui, tout est aseptisé. Mais en ce temps-là, remarque-t-il, les odeurs étaient comme des indicateurs de l’échelle sociale. On se sentait presqu’autant qu’on se voyait». Et on imagine les effluves dans ce bagne de Brest, au milieu de «ce troupeau humain mené à la férule», qui ouvre et referme l’intrigue de ce roman historique. Le tout servi par une écriture d’un classicisme totalement revendiqué pour mieux se fondre dans le style de l’époque.
Double intérêt pour Louis Renault
L’oeuvre de Laurent Dingli ne se limite pas aux biographies ou romans historiques. Il est également l’auteur d’oeuvres plus contemporaines comme le roman «Une pureté sans nom», avec le nazisme en toile de fond, ou encore la biographie de celui qu’il classe parmi les grands hommes des temps modernes: Louis Renault. «Ce ne fut pas seulement, dit-il, un constructeur automobile mais un grand génie de la mécanique qui s’est également passionné pour l’aviation et le ferroviaire». L’historien a, il est vrai, une bonne raison d’éprouver une certaine admiration, teintée de tendresse, pour le constructeur automobile: Hélène, son épouse, est une petite-fille de Louis Renault. Et tous deux ont choisi de se poser à Crozon, terre d’origine de l’épouse. Entre nature sauvage et chemins côtiers, tout ici est une invitation à de longues balades où l’imagination peut courir sur la lande des falaises. De là, ils surplombent la station balnéaire de Morgat avec sa grande plage qui, clin d’oeil du hasard, fut lancée en 1905 par un certain Armand Peugeot. Mais cela, bien sûr, c’est une tout autre histoire.
Pratique : «Dans l’Ombre des Lumières», de Laurent Dingli (Flammarion).«Robespierre» et «Louis Renault» (Flammarion), «Colbert» (éditions Perrin).