Lettre à Raphaël Enthoven sur la violence des militants anti-corrida

Monsieur,

Historien, romancier, très impliqué dans la protection animale, je voulais réagir, avec quelques mois de retard, à l’article que vous aviez écrit en réaction aux propos jugés trop violents de certains militants anti-corrida.
Moi-même adhérent de l’Alliance du même nom, j’ai souvent pensé à votre texte et à cette violence réactive que vous dénonciez sans doute à juste titre, mais, à votre tour sans nuances et en recourant à d’autres excès. Car en somme, tout en dénonçant des outrances, vous avez fait des militants anti-corrida un groupe de fanatiques qui – selon votre analyse psychologisante – seraient fascinés par le spectacle du sang. Je ne m’étendrai pas longuement sur la faiblesse de cet argument dont la logique – si je voulais employer des analogies – ferait de pacifistes des bellicistes contrariés, transformerait les militants contre la violence faite aux femmes en obsédés du viol et métamorphoserait les protecteurs de l’enfance en amateurs secrets de scènes pédophiles… Bref, le « Violent toi-même ! » ne me semble ni très élaboré ni très pertinent.
J’ajouterai que cette violence verbale n’est pas propre au débat sur la corrida et qu’elle inonde les forums, les blogs et les courriers des lecteurs sur presque tous les sujets de société. Mais surtout, plutôt que de répondre avec aussi peu de nuances, vous auriez pu vous demander pourquoi la pratique de la corrida, et d’une manière générale la maltraitance animale, suscitent des propos aussi violents. En vérité, il n’est pas très étonnant que des sujets touchant à la souffrance, à la vie et à la mort, ne suscitent pas uniquement des mondanités et des échanges de salon. Loin d’être fascinés par les cruautés commises contre des êtres sensibles – quelle curieuse perversion vous leur prêtez ! – les militants de la cause animale subissent au contraire très douloureusement les images et les descriptions qu’ils sont obligés de diffuser pour alerter l’opinion. Certes, le sentiment d’impuissance et l’indifférence auxquels ils sont souvent confrontés exacerbent parfois leurs passions et peuvent les conduire à proférer des propos excessifs, voire injurieux. Si je le déplore tout comme vous, je peux toutefois en comprendre les raisons. Il faut être un ancien militant de la cause animale pour mesurer la lassitude et la douleur que peut infliger ce combat quotidien, trop rarement couronné de succès, et qui met constamment en prise avec une détresse incommensurable. Sans doute, dans ce cadre, la violence verbale constitue-t-elle un exutoire, une sorte de soupape qui permet, de temps à autre, de lâcher un peu la pression. En somme, vous avez raison, le militant est rarement un orateur ou un philosophe, et il réagit trop souvent de manière impulsive, épidermique. Concédez toutefois que de tels propos, aussi regrettables et injustes soient-ils, seront toujours moins violents que l’acte de torture dont ils sont la conséquence.

Veuillez agréer, Monsieur Enthoven, l’expression de mes sentiments distingués.
Laurent Dingli, Crozon, le 17 décembre 2013. A M. Raphaël Enthoven – Le Point – 74, avenue du Maine 75014 Paris.
Liens: l’article de Raphaël Enthoven “Pourquoi les anti-corrida sont-ils si violents” sur le site de l’express.fr ; le site de l’Alliance anticorrida.
Lettre demeurée à ce jour sans réponse (10 février 2014)